137 nuances de djihadisme : la brutalité des chiffres
Selon une étude menée sur des djihadistes condamnés en France, il existe un profil type permettant d'engager des préventions ciblées. Il y a encore quelques années, l'étude menée par le chercheur Marc Hecker, et publiée ce 10 avril par l'Institut français des relations internationales, aurait sans doute été titrée "l'étude qui dérange".
La conclusion de son travail est en effet marquée par la volonté de briser des tabous :
- "Il serait facile d'extraire des histoires individuelles pour tenter de démontrer que n'importe qui peut devenir djihadiste et qu'il n'existe pas de profil type. Toutefois, si l'on fait l'effort de bien vouloir regarder la forêt plutôt que l'arbre qui la cache des tendances lourdes peuvent être observées."
Ainsi, dans la brutalité et dans la sécheresse que les chiffres peuvent avoir, le "profil type" existe bien. Il ressort que ces individus "se distinguent par un niveau d'éducation et une intégration professionnelle plus faibles, un degré de pauvreté plus important, un engagement dans la criminalité plus élevé et un rapport plus étroit au Maghreb et à l'Afrique subsaharienne que la moyenne de la population française".
Terrorisme domestique
Ce constat s'appuie sur un échantillon réel : 137 cas de djihadistes jugés et condamnés par les tribunaux français depuis le début des attaques terroristes. Comme on pouvait s'y attendre, l'écrasante majorité est masculine (131 hommes contre 6 femmes). L'âge moyen est de 26 ans. D'où viennent-ils ? Sur ce point, les choses se compliquent. Sur la carte de France dressée par le chercheur, les zones rouges sont principalement la région parisienne, le Nord, l'Alsace, les Alpes-Maritimes et, dans une moindre mesure, l'Hérault et la Haute-Garonne.
Seulement, un point commun existe : 40% des individus viennent de quartiers prioritaires. 47% n'ont aucun diplôme. Un peu moins de la moitié avaient déjà des antécédents judiciaires, notamment pour violence, vol, escroquerie, trafic de stupéfiants ou délits routiers.
Sont ensuite abordés les points dont les polémistes font leur miel après chaque attentat : la nationalité et la religion. Pour le premier point, il est confirmé que nous sommes bel et bien face à ce qu'on pourrait appeler un terrorisme domestique. 69% des djihadistes condamnés sont de nationalité française, 22% binationaux, 7% de nationalité de pays du Maghreb. Le chercheur, qui cite sur ce point les thèses de Tobie Nathan sur "les âmes errantes", s'arrête cependant sur l'origine des parents : 59% des condamnés ont un père ou une mère originaire d'un pays du Maghreb. Par ailleurs, 74% d'entre eux sont des musulmans de naissance, contre 26% de convertis.
Des parcours cassés
La brutalité de ces chiffres ne peut s'apprécier sans la réalité humaine qui se dégage de toute procédure judiciaire. Les personnalités, extrêmement contrastées, laissent à voir des parcours cassés qui jamais ne pourront être résumés par des statistiques. Marc Hacker le reconnaît lui-même :
- "Evidemment, des événements tragiques survenus dans l'enfance ou l'adolescence ne peuvent suffire à expliquer la radicalisation et doivent encore moins l'excuser.
- Cependant, les cas de personnes radicalisées présentant des fragilités liées à des situations traumatiques vécues pendant leurs jeunes années semblent être suffisamment nombreux pour justifier un effort de sensibilisation important des services en charge de la protection de l'enfance."
L'établissement d'un portrait-robot du djihadiste français peut au moins avoir cette vertu. Une exploitation de ces données permettrait une prévention, écrit le chercheur. Rejoignant en cela un discours livré depuis plusieurs années déjà, y compris dans les cercles du renseignement, il observe :
- "Les caractéristiques sociales identifiées montrent que la lutte contre le terrorisme et la radicalisation n'est pas qu'une affaire de répression."
Mathieu Delahousse
Marc Hecker, "137 nuances de terrorisme. Les djihadistes de France face à la justice", Focus stratégique, numéro 79, IFRI, avril 2018.
L'étude est consultable dans son intégralité sur le site de l'Ifri.
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