Abandon du zéro Covid en Chine : « Pour Pékin, le risque politique prime sur le risque sanitaire »
Après l’abandon des mesures de confinements et des tests de dépistages anti-Covid massifs en Chine, Pékin vient d’annoncer ce lundi 12 décembre 2022 l’arrêt de l’application de traçage des déplacements. Un assouplissement spectaculaire des mesures de contention de l’épidémie, guidé selon plusieurs spécialistes du pays par la crainte d’une déstabilisation du régime. Explications.
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Le risque politique prime sur le risque sanitaire
Jean-Philippe Béja, sinologue et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rappelle que « le système [décisionnaire chinois] est totalement opaque, on ne sait pas du tout comment se prennent les décisions ». Mais, selon lui, « l’idée première du gouvernement chinois est de mettre un terme au mécontentement populaire. Le risque politique est toujours essentiel. Ce n’est jamais l’économie qui prime, jamais la santé. C’est toujours le risque politique ».
Et, alors que certains manifestants appelaient ouvertement à la démission du président chinois, le risque polite devenait trop important. « C’est quelque chose qui est très inquiétant pour les autorités puisque c’est une atteinte à la stabilité sociale, explique Marc Julienne, responsable des activités Chine de l’Institut français des relations internationales (Ifri). C’est la priorité absolue pour le Parti communiste et la menace numéro un que ses dirigeants perçoivent. Elle est constante, et existe au sein du Parti communiste depuis bien avant Xi Jinping. »
Une justification hasardeuse
Pour justifier une telle volte-face, un mot d’ordre : le variant Omicron, moins dangereux que le virus initial, « ouvre la voie à plus de souplesse dans les restrictions », a expliqué Xi Jinping au président du Conseil européen, Charles Michel, en marge de son déplacement à Pékin. Une formule reprise depuis par tous les officiels du pays, tels que Zhong Nanshan, le monsieur Covid du pays, qui a récemment expliqué qu’Omicron avait un taux de mortalité similaire à la grippe saisonnière.
Après un mouvement de protestation inédit en Chine, les restrictions ont quasiment toutes disparues. En moins d’une semaine, la stratégie chinoise d’endiguement de l’épidémie visant à éliminer totalement les contaminations – ou stratégie zéro Covid – a volé en éclat. Mercredi 7 décembre 2022, le gouvernement chinois annonçait la fin des confinements localisés, des tests systématiques ou encore des longues périodes d’isolement.
Ce lundi 12 décembre, les autorités du pays annonçaient mettre fin au traçage généralisé de la population, qui permettait de savoir si les Chinois étaient passés par des zones de contamination. Un revirement brutal et spectaculaire, qui met fin à trois années de contrôle strict de l’épidémie et des citoyens du pays.
Des décisions montrant la crainte d’atteintes à la « stabilité sociale », pierre angulaire de l’idéologie du parti communiste chinois (PCC), selon plusieurs spécialistes. Mais qui montreraient surtout la « profonde incohérence » du régime. Et font craindre une flambée des cas. Explications.
Le risque politique prime sur le risque sanitaire
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La stabilité sociale, c’est la priorité absolue pour le Parti communiste et la menace numéro un que ses dirigeants perçoivent — Marc Julienne, chercheur, responsable des activités Chine de l’Ifri
Et, alors que certains manifestants appelaient ouvertement à la démission du président chinois, le risque politique devenait trop important. « C’est quelque chose qui est très inquiétant pour les autorités puisque c’est une atteinte à la stabilité sociale, explique Marc Julienne, responsable des activités Chine de l’Institut français des relations internationales (Ifri). C’est la priorité absolue pour le Parti communiste et la menace numéro un que ses dirigeants perçoivent. Elle est constante, et existe au sein du Parti communiste depuis bien avant Xi Jinping. »
Une justification hasardeuse
Pour justifier une telle volte-face, un mot d’ordre : le variant Omicron, moins dangereux que le virus initial, « ouvre la voie à plus de souplesse dans les restrictions », a expliqué Xi Jinping au président du Conseil européen, Charles Michel, en marge de son déplacement à Pékin. Une formule reprise depuis par tous les officiels du pays, tels que Zhong Nanshan, le monsieur Covid du pays, qui a récemment expliqué qu’Omicron avait un taux de mortalité similaire à la grippe saisonnière.
« L’opération a même été présentée comme un succès, celui de la stratégie zéro Covid sur le virus », explique Jean-Philippe Béja, qui rappelle que ce n’est pas la première fois que le Parti communiste chinois change d’avis de manière si opportune : « Jusqu’en 1969, l’impérialisme américain était le plus grand ennemi et la contradiction principale. Ce qui ne l’a pas empêché de recevoir le président américain Nixon en 1972. »
« Les autorités ne peuvent surtout pas dire que c’est à cause des mouvements de contestations, abonde Marc Julienne, puisque ce serait leur donner raison. Cela reviendrait presque à encourager de nouvelles protestations à l’avenir. »
Une « profonde incohérence » du régime chinois
Mais, avec cette décision « hasardeuse », le régime « risque de faire face à de nouvelles contestations dans les mois qui viennent », si la pandémie explose en Chine, estime le chercheur de l’Ifri. Une étude de l’université Fundan, à Shanghai, estimait par exemple en mai que l’abandon de la politique zéro Covid en Chine, combinée à l’émergence d’Omicron, pourrait causer la mort de 1,55 million de Chinois. « C’est quelque chose qui va être difficile à masquer. »
Pour Marc Julienne, ce brusque revirement est un nouvel exemple de l’incohérence du gouvernement. « Il n’y a pas que dans le domaine sanitaire que les autorités chinoises prennent des décisions souvent contre-productives, parfois contre-intuitives et incompréhensibles. Aujourd’hui, l’idéologie l’emporte sur le pragmatisme économique, longtemps valeur phare du PCC. »
L’exemple le plus concret, selon lui, est la politique vaccinale de la Chine. « Le président Xi Jinping s’est toujours refusé à commander des vaccins ARN étrangers, car ce serait un aveu d’échec », alors que plusieurs études ont démontré que les vaccins chinois, le Sinovac et le CoronaVac, sont moins efficaces que les vaccins Pfizer ou Moderna, en particulier contre Omicron. Ce serait pourtant, selon Marc Julienne, la porte de sortie de la Chine de la crise sanitaire qu’elle traverse.
Pour le directeur de recherche au CNRS, Jean-Philippe Béja, « on peut observer l’inquiétude du gouvernement chinois avec les efforts redoublés mis en place pour faire vacciner sa population », en particulier les aînés.
Mais, si explosion des cas il y a, le gouvernement chinois pourrait avoir une vision « un peu cynique ». « Qu’est-ce qui empêcherait alors le gouvernement chinois de faire volte-face, et de réinstaurer la stratégie zéro Covid ? De dire, en somme : “Vous voyez que la politique d’avant était tout à fait juste.” Ce n’est pas impossible non plus. »
>> Retrouver l'article en intégralité sur le site de Ouest France.
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