Afrique du Sud : le retour des violences plonge le pays dans l'incertitude
À la suite d'une série de pillages, 121 personnes ont perdu la vie dans des échauffourées. Les cicatrices ouvertes par les heurts font craindre une nouvelle explosion.
Les vidéos apocalyptiques inondent Twitter. Elles montrent des scènes de pillages qui ont ensanglanté l'Afrique du Sud il y a quelques jours, dans la foulée de l'incarcération de l'ex-président sud-africain, Jacob Zuma. Le président Cyril Ramaphosa a évoqué ce lundi 12 juillets des actes « rarement vus dans l'histoire de notre démocratie ».
Il s'agit en effet la plus grave crise traversée par le pays depuis 1991 et la fin de l'apartheid. Ces violents incidents ont été déclenchés après l'emprisonnement de Jacob Zuma, poursuivi pour corruption et condamné le 8 juillet à une peine de 15 mois de prison pour « outrage à la justice ».
Le dernier bilan officiel fait état d'au moins 121 tuées et plus de 2.000 arrestations au cours de ces six jours de violences. Cyril Ramaphosa s'est rendu ce vendredi 16 juillet au KwaZulu-Natal, épicentre des violences, où 95 personnes ont trouvé la mort. Les troubles et les pillages «ont été provoqués, il y a des gens qui les ont planifiés et coordonnés«, a-t-il accusé . Il a déclaré depuis Durban, le grand port du Kwazulu-Natal (Est), que les initiateurs de ces violences seraient poursuivis. «Nous en avons identifié un bon nombre, nous ne permettrons pas l'anarchie et le chaos» dans le pays, a-t-il ajouté, alors que la police enquête sur 12 personnes soupçonnées d'être derrière le déchaînement de violences.
Débordée, la police a peiné à réagir dans de nombreuses villes et très souvent les civils se sont substitués aux forces de l'ordre.
«Contrairement à ce que nous avons l'habitude de voir, la violence n'est pas le résultat des affrontements entre les forces de sécurité et les émeutiers. C'est l'anarchie qui explique ces pertes humaines. À Phoenix et Durban, des communautés se sont armées elles-mêmes, et se sont engagées contre les pillards présumés», explique Ryan Cummings, Directeur de Signal Risk, spécialiste des risques politiques et sécuritaires en Afrique.
Le gouvernement avait déclaré mercredi soir qu'il allait déployer environ 25 000 soldats dans la région. Cette annonce tardive n'a pas permis d'enrayer les nombreux saccages et incendies criminels à Johannesburg ainsi que dans l'est du pays.
« La police a été prise par surprise, et comme souvent elle a été très vite débordée, explique Thierry Vircoulon, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (IFRI) et spécialiste de l'Afrique du Sud. Elle n'arrive déjà pas à gérer la violence dans les townships du Cap, alors dès qu'arrive ce genre d'explosion, elle est pratiquement inefficace. L'armée est la seule à pouvoir intervenir.»
Risque de pénurie
Si un calme relatif règne depuis jeudi, les observateurs s'inquiètent déjà des conséquences dramatiques des milliards d'euros de destructions. Les livraisons des points de vente au détail ont été interrompues durant les violences. Cette situation fait craindre une pénurie alimentaire catastrophique alors que les files d'attente commencent à s'allonger devant certains magasins, notamment à Durban. Les fournitures essentielles commencent à s'épuiser et les experts en logistique mettent en garde contre un "désastre humanitaire".
« Nous n'avons toujours pas une évaluation complète de l'ampleur des dégâts. Les pillages ont ciblé spécifiquement les produits de base, comme le pain et le sucre.» «Ce manque d'approvisionnement alimentaire pourrait potentiellement être un nouveau déclencheur de troubles à l'avenir », craint Ryan Cummings.
Une société Cocotte-Minute
Depuis vingt ans, la violence ne cesse de croître dans la patrie de Nelson Mandela. «Toutes les statistiques montrent que la colère ne cesse de grimper depuis des années, il est logique qu'on arrive à des situations de violences émeutières aujourd'hui et de plus en plus souvent», déplore Thierry Vircoulon.
Dans ce pays souvent classé comme le plus inégalitaire du monde, le ressentiment et le mécontentement prospèrent à mesure que les disparités augmentent.
Les fractures socio-économiques n'ont jamais été résorbées. Le taux de chômage atteint 33 %. La pandémie a accentué la crise économique du pays.
«L'Afrique du Sud est une véritable Cocotte-Minute, il y a des similitudes avec la situation dans certains pays d'Amérique latine où la situation sociale est intenable. Le gouvernement n'a rien à offrir car la classe politique est discréditée par les querelles internes à l'ANC. Ce parti est devenu le symbole de la corruption en Afrique du Sud» analyse Thierry Vircoulon.
À la révolte des pauvres des derniers jours s'ajoutent les tensions ethniques toujours importantes depuis la fin du régime d'apartheid. Des agressions racistes ont été constatées dans plusieurs zones du pays, en particulier à Phoenix.
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