Après la mort de Ben Laden, l'avènement d'un " djihad sans leader " ?
La mort d’Oussama Ben Laden a été annoncée à plusieurs reprises au cours des dix dernières années mais cette fois-ci, la nouvelle a été confirmée par le président des Etats-Unis en personne. Maintenant que Ben Laden n’est plus, que peut-il advenir d’Al Qaïda ?
La mort ou l’arrestation d’un leader n’est pas un événement anodin pour une organisation terroriste. Le sentier lumineux, le PKK, l’IRA véritable et Aum Shinrikyo n’ont jamais réussi à se remettre totalement de la neutralisation de leur chef. Toutefois, Al Qaïda n’est pas une organisation terroriste comme les autres et le décès de Ben Laden n’entraînera pas sa fin immédiate.
Ce qui différencie Al Qaïda des autres groupes est sa vocation globale et son degré de décentralisation. Depuis le début de l’opération Enduring Freedom en 2001, l’organisation terroriste, soumise à une forte pression, a été contrainte d’évoluer. Des « filiales » ont été créées en Irak, au Maghreb et dans la Péninsule arabique, sans qu’il soit d’ailleurs possible de connaître précisément la nature et la solidité des liens unissant ces « filiales » à « Al Qaïda central ». Certains analystes affirment qu’Oussama Ben Laden n’était guère plus qu’une source d’inspiration, d’autres soutiennent qu’il conservait un rôle opérationnel. Il apparaît en tout cas qu’il n’était pas en mesure de contrôler ce qui se passait sur les différents « fronts » d’Al Qaïda. Les divergences de vues qui opposaient « Al Qaïda central » à Abou Moussab al-Zarqaoui en Irak sont à cet égard bien connues.
Oussama ben Laden devrait être remplacé par Ayman al-Zawahiri, même si la transition n’est pas aussi simple qu’il y paraît, l’allégeance (bay’a) personnelle au chef étant un élément structurant d’Al Qaïda et les mécanismes de succession restant sujets à caution. Médecin d’origine égyptienne, torturé dans les prisons de Moubarak suite à l’assassinat du président Sadate et vétéran du jihad contre les Soviétiques, Zawahiri est un vieux compagnon de route du fondateur d’Al Qaïda. Principal idéologue de cette organisation, c’est lui qui, en 2008, rédigea un long document contredisant les arguments avancés par un jihadiste repenti, Sayyed Imam al-Sharif dit « Dr Fadl ».
Même si Zawahiri venait à son tour à être tué, les opérations d’Al Qaïda se poursuivraient. Cela fait maintenant trois ans qu’est paru le livre Leaderless Jihad. Son auteur, Marc Sageman, explique que l’idéologie jihadiste s’est suffisamment répandue – notamment par l’intermédiaire d’Internet – pour qu’Al Qaïda puisse survivre sans commandement. L’organisation évoluerait ainsi vers un fonctionnement acéphale, des cellules autonomes commettant sporadiquement des attentats. Cette vision correspond d’ailleurs à celle d’un autre chef d’Al Qaïda, Abu Mus’ab al-Suri, arrêté au Pakistan en 2005. Le stade ultime de cette décentralisation serait l’émergence de « loups solitaires », agissant indépendamment de tout réseau. Nous n’en sommes cependant pas encore là et nombre d’attentats commis tout au long de la décennie écoulée trouvent – à des degrés divers – leurs racines en Afghanistan et au Pakistan.
Ce pays est aujourd’hui au centre de l’attention. La présence d’un sanctuaire est la meilleure garantie de survie pour une organisation terroriste. Au cours des dernières années, le Pakistan apparaissait comme le « nouveau sanctuaire » d’Al Qaïda. L’opération menée contre Oussama Ben Laden montre que les Etats-Unis sont capables d’agir à proximité de la capitale Islamabad, et pas uniquement dans les zones tribales jouxtant la frontière avec l’Afghanistan. Ben Laden a-t-il été « lâché » par les Pakistanais ? Si oui, quelle a été la contrepartie du côté américain ? Il est trop tôt pour répondre à ces questions et une intervention comme celle qui a conduit à la mort du chef d’Al Qaïda conservera probablement sa part d’ombre. Quoi qu’il en soit, de la réaction des responsables politiques et militaires pakistanais dépendra, au moins partiellement, la capacité de rebond d’Al Qaïda et de ses alliés locaux. Reste aussi à savoir quelle sera l’attitude des Etats-Unis. Barack Obama pourrait être tenté de profiter de la mort de Ben Laden pour sortir, la tête haute, de la zone « AfPak » alors que les résultats de la guerre en Afghanistan sont jusqu’à présent mitigés. Un départ précipité de cette région pourrait néanmoins s’avérer contre-productif. Quitte à partir, autant faire en sorte de ne pas avoir à y revenir avant longtemps…
Partager