Après les Américains, en attendant les talibans : la Chine se place en Afghanistan
À mesure que les Américains se retirent de la région, la Chine tente d'apparaître comme un acteur incontournable de la médiation internationale en Afghanistan. Pour ce faire, Pékin discute aussi bien avec le gouvernement de Kaboul qu'avec les talibans. Analyse.
Alors que les talibans reprennent du terrain jour après jour, la Chine tente de prendre le contre-pied et d’accroître son influence en Afghanistan. Selon l'agence de presse chinoise CGTN, ce vendredi 16 juillet, le président Xi Jinping a appelé le chef d'État afghan Ashraf Ghani, sans plus de détails. En réalité, Pékin entretient un dialogue aussi bien avec le gouvernement de Kaboul qu’avec les insurgés talibans, et tente d'influer pour stabiliser la région en s’affichant comme un acteur incontournable de la médiation internationale.
« Les Chinois veulent avant tout aboutir à un cessez-le-feu, et pourquoi pas plus tard établir des partenariats stratégiques et commerciaux »explique à Marianne le diplomate singapourien Kishore Mahbubani, auteur de Le jour où la Chine va gagner (Saint-Simon). Si l'armistice en Afghanistan reste encore un lointain mirage, une victoire chinoise sur le terrain diplomatique constituerait un sérieux revers pour l'oncle Sam.
Preuve de cette dualité : la diplomatie chinoise, qui applique la technique dite des loups guerriers, qui consiste à jouer la confrontation, a récemment qualifié « d'irresponsable » le retrait américain, à l’heure où les GI ont presque tous plié bagages, et que les insurgés affirment contrôler 85 % du territoire. « Si les talibans prennent le pouvoir, ce qui semble relativement crédible, la Chine reconnaîtra leur gouvernement » estime Marc Julienne, spécialiste de la Chine au centre Asie de l’Ifri. Difficile d'imaginer qu'après 20 ans de conflits, les forces de l'OTAN fassent de même.
La sécurité comme priorité
Fruit de cette approche pragmatique, Pékin craint de voir son intégrité territoriale menacée. La menace sur la frontière entre la Chine et l’Afghanistan, bien que celle-ci soit difficile d'accès, semble être redoutée par Xi Jinping. Ce point de contact long de 76 kilomètres aboutit au Xinjiang, région à majorité musulmane, où un million de Ouïghours ont été placés dans des camps de « rééducation ».
« L’aspect sécuritaire et notamment le risque terroriste ont toujours été prioritaires pour la Chine, note Marc Julienne. C'est ce qui explique la surveillance étroite du corridor de Wahkan », qui fait la frontière avec l'Afghanistan.
Pour assurer la sécurité, la Chine a d’ores et déjà installé une base militaire qui se voulait secrète au Tadjikistan voisin, dont le Washington Post a révélé l'existence en février 2019.
Les derniers pourparlers officiels remontent à juin dernier, lorsque le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a proposé d'accueillir un dialogue interafghan. Il faut « ramener les talibans dans le jeu politique normal », déclarait-il lors d'une rencontre avec ses homologues afghans et pakistanais. À une condition : « éviter le retour des terroristes » et « intensifier le combat contre le Mouvement islamiste du Turkestan oriental » (Mito), une organisation séparatiste ouïghoure considérée par l'ONU comme terroriste.
« L’instabilité des pays voisins est perçue comme une menace à sa propre sécurité » relève Marc Julienne. Et de rappeler que « la Chine n’interviendra pas militairement car Pékin a bien observé la manière dont les Américains se sont cassé les dents aussi bien en Afghanistan qu’en Irak. »
Pacte tacite avec les talibans
Pour l'Empire du Milieu, le retour au pouvoir des talibans semble être plus que probable. C'est pourquoi la diplomatie chinoise se dit prête à coopérer avec les insurgés s’ils s'emparaient du pouvoir central. Le ministre des affaires étrangères Wang Yi a rappelé le 13 juillet les liens qui unissent les deux pays. « La Chine, pays voisin qui partage des montagnes et des rivières avec l'Afghanistan, respecte depuis toujours la souveraineté, l'indépendance et l'intégrité territoriale de l'Afghanistan ». Avant de demander aux talibans de « prendre conscience de leurs responsabilités envers le pays et la nation et de rompre résolument tous les liens avec les forces terroristes. »
De leur côté, les insurgés, bien au fait de leur isolement sur la scène internationale, ont évité de condamner la politique d’internement des Ouïghoures par Pékin. « Nous nous soucions de l'oppression des musulmans… Mais nous n'allons pas nous ingérer dans les affaires intérieures de la Chine », a déclaré Suhail Shaheen un porte-parole taliban mercredi 7 juillet au Wall Street Journal. Et d'ajouter que la Chine est un « ami » de l'Afghanistan.
Faut-il espérer une collaboration contre les séparatistes ouïghours en échange d'investissements ? Les talibans semblent prêts à accepter le marché. « Si un pays veut exploiter nos mines, il est le bienvenu », assure depuis le porte-parole des insurgés. « La logique chinoise consiste à apporter de la stabilité par le développement économique et ce qu'on appelle la paix développementale en opposition à la paix libérale de l'Occident » note Marc Julienne.
> Retrouver l'article en intégralité sur le site de Marianne.
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