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Ce qu'Alexeï Navalny nous dit de la Russie

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chronique parue dans la revue

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Le 17 janvier 2021, après cinq mois de convalescence passés en Allemagne à la suite de son empoisonnement, Alexeï Navalny est rentré en Russie. Sans surprise, il a été immédiatement arrêté lors de son arrivée à l'aéroport de Moscou-Cheremetievo.

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Âgé de quarante-quatre ans, le « patient de Berlin », comme l'appelle le Kremlin, est désormais face à son destin. « N'ayez pas peur », dit-il à ses concitoyens pour continuer à dénoncer la corruption du régime de Vladimir Poutine. Navalny utilise ses armes – maîtrise des réseaux sociaux, capacités d'investigation, sens de la dérision – pour s'opposer frontalement au maître du Kremlin, désormais présenté comme un « papy dans son bunker ». Ce genre de formule coûte cher. Le 2 février, il est condamné à de la prison ferme après avoir dit que Poutine restera dans l'histoire russe comme « l'empoisonneur de slips ».

Âgé de soixante-huit ans, au pouvoir depuis vingt ans, le président de la Fédération de Russie a plusieurs fois démontré qu'il était un grand fauve n'hésitant pas à fondre sur ses proies. La manipulation constitutionnelle opérée en 2020 garantit son inamovibilité jusqu'en 2036 à condition, toutefois, de remporter les élections présidentielles normalement prévues en 2024 et en 2030. Il y a fort à parier que Navalny ne pourra pas concourir en 2024, comme cela avait déjà été le cas en 2018. Cependant, avec le « vote intelligent » qui consiste à toujours soutenir le candidat, quelle que soit son affiliation politique, opposé au parti présidentiel, il est parvenu à perturber à la marge quelques échéances électorales. En septembre prochain, doivent avoir lieu des législatives qui devraient, en principe, susciter un minimum de débats contradictoires.

Pour rompre avec l'URSS, la Fédération de Russie a adopté une constitution en 1993 qui donnait beaucoup de pouvoirs au Président, tout en prévoyant quelques contre-pouvoirs. Dans le domaine législatif comme dans le domaine judiciaire, ils ont été sévèrement affaiblis. À titre d'exemple, trente sénateurs peuvent être désignés directement par le Président. Quant au Procureur général, il n'est plus nommé par le Conseil de la Fédération, mais directement par le Président. Sur le plan idéologique, la continuité de l'Empire russe et de l'Union soviétique est établie, tout comme la foi orthodoxe ou la nécessité de protéger la « vérité historique », c'est-à-dire d'interdire politiquement certains travaux de recherche. En réalité, la Constitution ne garantit plus désormais la séparation des pouvoirs.

Si l'impact potentiel de Navalny est difficile à apprécier en termes électoraux à ce stade, il ne fait aucun doute qu'il incarne désormais à lui seul l'opposition au système Poutine. Il ne fait aussi aucun doute que son ombre va planer sur les rapports futurs entre la Russie et les pays occidentaux, comme le montre la déclaration des pays du G7 en sa faveur. L'administration Biden est principalement composée d'anciens collaborateurs de Barack Obama qui n'ont oublié ni l'ingérence russe dans l'élection de Donald Trump, ni le sommet d'Helsinki (16 juillet 2018) au cours duquel ce dernier a donné plus de crédit aux déclarations du Président russe qu'aux rapports de ses propres services. Pour le dire rapidement, l'administration Biden voit dans la Russie une puissance révisionniste dont il faut ramener l'influence internationale à son poids réel. Pour ce faire, elle réfléchit d'ores et déjà à de nouvelles sanctions. La situation personnelle de Navalny pourrait devenir un dossier en lui-même, évoqué à chaque rencontre ou faisant l'objet de dispositions législatives, à l'instar du dossier Magnitski. Depuis 2012, un texte prévoit d'appliquer des sanctions financières et des interdictions de visas contre les fonctionnaires suspectés d'être impliqués dans la mort en prison de l'avocat Sergueï Magnitski, en 2009.

Est-ce lui rendre service alors que, selon les sondages, une majorité de Russes voient un complot occidental dans son empoisonnement ? Cela va dépendre principalement de la manière avec laquelle les autorités russes vont réprimer les contestations qui s'annoncent. Des pans entiers de la société demeurent peu contestataires, en particulier les nombreux fonctionnaires et les employés des entreprises dépendantes de l'État. Et Poutine dispose toujours de vastes ressources administratives et de la loyauté de l'appareil de sécurité, qui oblige, par exemple, les personnes physiques et morales ayant des liens réguliers avec des partenaires extérieurs à se déclarer comme « agents de l'étranger ». Le retour en Russie de Navalny montre à quel point la Russie se replie sur elle-même.

 

> Lire l'article sur le site de la revue Études

 

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Thomas GOMART

Thomas GOMART

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