Corée du Nord, le statu quo arrange tout le monde
La Corée du Nord tire un missile balistique, Donald Trump réplique : « On va s’en occuper. » Le Conseil de sécurité se réunit, condamne, mais les sanctions à l’égard de la Corée sont à peine aggravées. Doit-on craindre le pire ou soupirer « Beaucoup de bruit pour rien » ? Voici l’analyse de Dominique David, de l’Institut français des relations internationales (IFRI), expert des questions stratégiques et de sécurité.
À quoi sert cette nouvelle démonstration de force de la Corée du Nord avec son tir balistique du 29 octobre ?
Ce tir est un phénomène nouveau et, en même temps, ce n’est pas nouveau. Je m’explique : la nouveauté, c’est que ce tir démontre une allonge dans la portée des missiles nord-coréens. Et il porte aussi un certain nombre de questions : ce missile peut-il être équipé d’une tête nucléaire ? Si oui, quelle est sa portée réelle ? Faute de certitudes, j’observe quand même que les Nord-Coréens maîtrisent ou vont bientôt maîtriser la technologie des tirs à très longue portée. Très peu de pays en sont capables.
Ce qui n’est pas nouveau, c’est la progression. Car la Corée du Nord a un programme annoncé, étape par étape. Que veut-elle ? Être une puissance nucléaire, plus précisément avoir une capacité de réponse nucléaire. Et ça, les Coréens le sont de manière incontestable. Et puis, ils veulent semer le doute sur leur capacité nucléaire – et ils y sont arrivés –, et faire peur. C’est la base de la dissuasion. Tout le reste, c’est du détail. Par exemple, le degré de sophistication de leurs armes nucléaires n’atteint sûrement pas celui obtenu par la Grande-Bretagne, la Russie ou la France. Mais ils ont déjà passé le seuil de la crédibilité. Oui, ils peuvent encore atteindre d’autres niveaux techniques, d’autant qu’ils ont déjà la base.
Est-ce que cela modifie les équilibres politiques et stratégiques ?
Dans cette région où tout le monde regarde tout le monde, les équilibres sont évidemment modifiés. Les États-Unis protègent la Corée du Sud et le Japon, une situation qui dure depuis la fin de la guerre de Corée ; il n’y a jamais eu d’armistice, mais un pacte de non-agression a été signé en 1953. Depuis, c’est le statu quo et c’est un peu à qui bougera le premier. Mais qui y a intérêt ? Malgré les déclarations verbales des militaires US, une offensive américaine n’aurait aucun sens. Le régime nord-coréen ne tombera pas sous une offensive militaire extérieure, qui, d’ailleurs, est impensable. De leur côté, les Coréens du Nord ne bougeront pas. Pourquoi le feraient-ils ? Ce sont des gens parfaitement logiques. En face d’eux, la Corée du Sud est pleine de GI’s et de soldats nationaux. S’ils rompaient cet équilibre, les Nord-Coréens rentreraient dans un jeu stratégique où ils deviendraient les dissuadés, alors qu’ils font tout pour être les dissuadeurs. Tant qu’il ne se passe rien, les États-Unis sont dissuadés d’attaquer. Dans le cas contraire, la réplique américaine serait légitime. Les dirigeants nord-coréens et leur leader ne sont pas des dingues. Le régime a développé une stratégie d’une rationalité très froide. Il est parvenu à ses fins et a désamorcé toutes les manoeuvres internationales.
Quel est le calendrier maintenant ? Y a-t-il un risque nucléaire accru ?
Par équilibre stratégique immédiat, ce nouveau tir va pousser les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud à resserrer leurs liens de défense. Il va y avoir une réponse. Sous quelle forme ? Ils vont sans doute confirmer les accords militaires déjà existants. Il va y avoir une exhibition de solidarité, mais cela ne va pas plaire à la Chine. À court ou moyen terme, je ne crois pas que les Nord-Coréens se serviront du nucléaire. Quelle que soit la cruauté du régime, ils n’y ont pas intérêt. Je n’imagine pas non plus les États-Unis se jeter sur la Corée du Nord. Je ne pense pas que ces modifications soient fondamentalement dangereuses, mais il va quand même y avoir une modification politique pour s’adapter à cette nouvelle situation. La Corée du Sud fait profil bas. Elle est partagée entre deux sentiments : rassurée par la couverture américaine, elle est mal à l’aise avec les provocations de Trump. Le pays a plutôt envie de conserver un modus vivendi. Ils n’ont pas envie de voir affluer des millions de réfugiés si le Nord s’effondre. Tout le monde s’accorde pour critiquer le régime nord-coréen, mais, dans le fond, personne ne veut le pousser à l’effondrement. Pas les Chinois, qui n’ont pas envie d’avoir des GI’s à leur frontière, ni même les États-Unis, qui n’ont pas davantage envie d’ouvrir un front tendu avec la Chine. Oui, le statu quo arrange tout le monde.
Voir l'interview sur le site du Témoignage chrétien
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