Crise ukrainienne : «gagner la guerre avant la guerre», la stratégie russe
En Ukraine, « une guerre pourrait éclater à tout moment », prévient Washington. Selon la Maison Blanche, une invasion pourrait même commencer pendant les Jeux olympiques de Pékin.
L'accumulation autour de l'Ukraine des forces russes est d'une ampleur sans précédent depuis la fin de la Guerre froide. 130 000 soldats russes sont massés le long de la frontière. Et depuis jeudi 10 février, ces unités manœuvrent dans le cadre d'un exercice dit Zapad, réédition d’un entraînement qui a déjà eu lieu en septembre. Sur le terrain, les 2/3 des bataillons tactiques dont dispose l'armée de terre, sont présents. A tel point qu'il ne reste presque plus de militaires dans l'Extrême-Orient russe.
Et ces troupes sont bien entraînées, détaille Elie Tenenbaum, directeur du Centre des études de sécurité à l'Ifri : « Ce sont des bataillons soit à dominante d’infanterie motorisée, soit à dominante d’arme blindée cavalerie, avec des chars notamment T72. À chaque fois avec une quarantaine de véhicules par bataillon. Ils sont soutenus par une artillerie intégrée, organique et donc ces bataillons sont censés être relativement autonomes dans une certaine profondeur du champ de bataille ».
Missiles Iskander
À cela, il faut ajouter des capacités d'artillerie longue portée avec notamment des missiles balistiques Iskander, 15 bataillons de parachutistes et d'importantes forces navales en Crimée. Il y a quelques jours, 6 navires amphibies ont rejoint la flotte de la mer Noire, laissant planer la menace d'un débarquement sur les côtes ukrainiennes de la mer d'Azov avec pour objectif la ville stratégique de Marioupol.
Ainsi, prévient Elie Tenenbaum, Moscou se donne les moyens d'une invasion à grande échelle, avec possiblement quatre fronts en Ukraine : « Un axe vraiment plein nord, autour de la ville de Ielnia et Klimovo. Une approche par le nord-est qui vient surtout de la XXe armée russe avec des forces locales qui ont été renforcées depuis Koursk. Ensuite on a une approche par le sud et la Crimée évidemment, la VIIIe armée, qui là aussi a été considérablement renforcée. Et à cela il faut rajouter le quatrième front, qui est le front biélorusse, avec une quinzaine de bataillons inter armes, des 'Battle Group' qui ont été déployés dans le cadre des exercices Zapad ».
La Russie pourrait aussi agir par procuration
Autre scénario, la Russie pourrait renoncer à une offensive et préférer agir par procuration avec des « proxy », des paramilitaires à l'instar de ceux de la sulfureuse société Wagner. Des soldats de l’ombre pour brouiller les cartes, éviter une guerre coûteuse et éloigner le spectre des sanctions occidentales.
Une guerre à bas bruit, en quelque sorte, une stratégie privilégiée par le Kremlin, assure Dimitri Minic, chercheur au centre Russie NEI de l'Ifri : « L'objectif de Moscou en Ukraine n’est pas dans un premier temps d’engager une lutte armée interétatique, mais de tout faire pour que tout le monde y croie et ainsi atteindre ses objectifs politiques. L’emploi de forces paramilitaires et même de forces spéciales dotées d’uniformes neutres, sont des moyens privilégiés par les théoriciens militaires russes. Cela leur permet de nier la présence de la Russie sur certains théâtres d’opération. Le concept même de guerre a été modifié par l’armée russe. C’est une vraie réflexion théorique qui s’est engagée depuis trente ans et cela fait d’ailleurs écho aux récentes déclarations du général français Thierry Burkhard, chef d’État-Major des Armées, qui récemment évoquait l’importance de "gagner la guerre avant la guerre". C’est un domaine en réalité que les stratèges russes ont beaucoup pensé et dans lequel ils ont pris beaucoup d’avance ».
La diplomatie ukrainienne l’a bien compris, estimant ces derniers jours qu'il était « important de ne pas céder à la panique face à la menace d'une invasion russe ». La panique et le brouillard de la guerre étant le meilleur atout de Moscou pour infiltrer sur le sol ukrainien, des paramilitaires.
> Article disponible sur le site de RFI.
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