Dans le monde de Trump, quelle place pour l’Alliance atlantique ?
Les Européens redoutent la volonté du président américain de négocier en solo avec la Russie et les éventuelles concessions qui pourraient être faites.
Le 26e sommet de l’OTAN, qui se déroulera les 11 et 12 juillet à Bruxelles, aura-t-il la saveur du dernier G7 où le cavalier seul des États-Unis était apparu au grand jour ? Comme à La Malbaie, les chefs d’État et de gouvernement des pays membres se réuniront sur fond de tension et de doutes entre Donald Trump et ses principaux alliés. « Il y a de sérieux risques de dérapages au sommet de l’OTAN comme au G7 », confirme à L’Orient-Le Jour André Donneur, professeur à l’Université du Québec, à Montréal.
À l’origine de cette tension, il y a la position floue du président américain vis-à-vis de l’OTAN qui semble focalisée sur la question budgétaire sans avoir de réelle vision stratégique pour l’Alliance. Le président Trump reproche en effet aux pays membres de l’Alliance d’être des « passagers clandestins », de profiter des dépenses militaires américaines sans assumer leur part du fardeau. Les demandes américaines sont claires, comme en témoignent les lettres adressées aux États membres jugés comme étant « mauvais payeurs », tels que la Belgique ou le Canada, exigeant sans fard une augmentation de leur budget de défense. Le 5 juillet, le président américain a une nouvelle fois menacé ses alliés, particulièrement l’Allemagne d’Angela Merkel. « Vous savez, Angela, nous vous protégeons, et cela signifie beaucoup plus pour vous parce que je ne sais pas quelle protection nous obtenons en vous protégeant », a-t-il dit.
Pour Olivier Schmitt, professeur à l’Université du Danemark du Sud, cette préoccupation est typique de la vision du monde du président américain « qu’il développe depuis plusieurs décennies et n’est pas spécifique à l’OTAN, mais concerne sa vision générale de la place de l’Amérique sur la scène internationale : il considère que l’Amérique paye plus que cela ne lui rapporte et que les partenaires des États-Unis abusent de la naïveté de Washington ».
De leur côté, les États européens augmentent progressivement, et depuis peu, leur budget de défense, même si, comme l’explique Frédéric Merand, professeur à l’Université de Montréal, ceux-ci sont plus motivés par « le comportement de plus en plus inquiétant de la Russie et le désintérêt croissant des États-Unis à l’égard du continent européen » que par la volonté de plaire à Donald Trump. Cela étant, les pressions de Donald Trump pourraient s’avérer contre-productives, selon Corentin Brustlein, directeur du centre des études de sécurité à l’Institut français des relations internationales, pour qui « un décideur européen peut expliquer à son opinion publique qu’une hausse de l’effort de défense est justifiée lorsqu’elle répond à une menace nette. Mais une même hausse peut vite apparaître injustifiable – et donc insoutenable politiquement – si elle donne l’impression qu’un gouvernement cède au chantage américain ».
« Ne pas trop rationaliser »
En dehors de ces questions budgétaires, André Donneur rappelle que « Trump accorde un intérêt relativement faible à l’OTAN ». Ce dédain est motivé par des considérations stratégiques qui datent des précédentes administrations américaines, que ce soit le « pivot vers l’Asie » d’Obama ou la forte implication au Moyen-Orient. L’arrivée au pouvoir de Donald Trump ajoute une dimension affective à la question, comme l’explique Olivier Schmitt, pour qui « le mépris affiché de Trump pour l’Alliance est quelque chose de nouveau ». Le président des États-Unis exprime en effet régulièrement sa méfiance vis-à-vis des organisations multinationales, que ce soit l’OTAN ou les Nations unies, affichant ouvertement sa préférence pour les liens bilatéraux tant avec les alliés qu’avec les adversaires, au premier chef desquels Kim Jong-un et Vladimir Poutine.
Vladimir Poutine, justement, est une autre composante de cette complexe équation. Les deux chefs d’État doivent se rencontrer en tête à tête à Helsinki quatre jours après le sommet de l’OTAN. Cette rencontre semble intéresser bien plus le président américain que le sommet, à tel point que ses partenaires craignaient qu’elle précède la rencontre avec ses alliés. Si, comme le rappelle Frédéric Merand, « il ne faut pas trop rationaliser la politique étrangère de Trump », l’ambiguïté de cette rencontre avec celui qui est considéré comme une menace par les alliés des États-Unis est bien présente. De ce fait, selon André Donneur, « Trump pourrait tenter de négocier avec Poutine une sorte de modus vivendi dans lequel les deux leaders s’engageraient à restreindre les pressions militaires sur les frontières d’Europe centrale et orientale : pays baltes pour Poutine, voire Ukraine, exercices militaires pour Trump ».
La perspective de voir l’OTAN devenir un sujet de négociation inquiète donc les Européens au plus haut point, d’autant plus que, comme le précise Olivier Schmitt, « tout le monde se demande pourquoi le président américain insiste sur une rencontre en tête à tête avec Poutine, sans assistant pour faire un compte rendu de la réunion ». L’administration américaine, bien moins enthousiaste que son chef vis-à-vis de la Russie, a fait savoir qu’il n’était pas question de reconnaître l’annexion de la Crimée ou de renoncer aux sanctions. Cependant, l’attitude erratique du président américain et sa capacité à décider contre sa propre administration ne rassurent pas, d’autant plus que, comme le rappelle Corentin Brustlein, « les préférences du président américain en politique étrangère – recentrage sur les intérêts nationaux purs, pressions sur les alliés, recherche d’accords à tout prix, etc. – sont tellement lisibles qu’elles paraissent très faciles à exploiter par Poutine ».
Ces doutes et ces incertitudes ne condamnent cependant pas le sommet de l’OTAN à un échec total. Si Olivier Schmitt souligne que « le comportement de Donald Trump reste difficile à prévoir », sa position est ici bien plus dominante, étant donné que les États-Unis bénéficient d’un statut incontesté de primus inter pares au sein de l’Alliance. De plus, comme le rappelle Frédéric Ménard, « Donald Trump a plus d’amis au sommet de l’OTAN qu’au G7 », avec certains pays européens qui lui sont idéologiquement favorables, tels que la Hongrie ou la Pologne, et d’autres qui sont prêts à faire des concessions pour conserver la protection américaine. De façon plus générale, au-delà du langage de Donald Trump lui-même, « la pratique de l’administration Trump vis-à-vis de la sécurité de l’Europe a consisté à poursuivre la remontée en puissance de la présence militaire américaine sur le continent », tempère Corentin Brustlein.
Le 26e sommet de l’OTAN devrait donc permettre d’entériner un certain nombre de réformes qui font en réalité consensus, notamment la réforme du commandement, la modernisation des forces et l’amélioration de la mobilité. Washington pourrait même obtenir partiellement satisfaction avec un engagement renouvelé de ses alliés d’augmenter leur budget de défense. Toutefois, sauf imprévisible coup d’éclat, ce sommet ne devrait pas permettre de dissiper les interrogations et les ambiguïtés quant au rôle précis de l’OTAN dans le monde de Donald Trump.
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