Des nazis dans le rétro de la société allemande
Pour empêcher le pays de renouer avec ses vieux démons, la mobilisation s’organise. Les partis traditionnels maintiennent jusqu’à présent un cordon sanitaire autour du parti raciste AfD, qui séduit de plus en plus d’électeurs, notamment dans l’ex-RDA. De leur côté, les institutions culturelles comme la Haus der Kulturen der Welt à Berlin s’engagent sur le terrain de l’art et des idées.
Au bord de la Spree, la rivière qui traverse la capitale allemande, se dressent seize drapeaux noirs. Sur cette installation, l’artiste allemand Ulf Aminde a inscrit le nom des victimes, issues de différentes communautés, tuées lors d’attaques menées par l’extrême droite depuis 1990. Cette oeuvre est probablement l’une des plus poignantes de l’exposition Forgive Us Our Trespasses, qui se tient à la Maison des cultures du monde (Haus der Kulturen der Welt, HKW) jusqu’au 8 décembre. Depuis sa réouverture à l’été 2023, dans la foulée de la nomination d’un nouveau directeur à sa tête, le Camerounais Bonaventure Soh Bejeng Ndikung, un vent de fraîcheur souffle sur cette institution culturelle érigée en pleine guerre froide par les Américains dans Berlin-Ouest pour impressionner le bloc de l’Est et incarner les “valeurs occidentales”.
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C’est dans ce contexte que se tient Forgive Us Our Trespasses, volet d’un nouveau programme transfrontalier ayant des ramifications en Suisse et en Autriche et baptisé Heimaten (que l’on peut traduire par “foyers” ou “patries”). Son ambition ? Montrer une société allemande plurielle – Berlin compte pas moins de 170 nationalités – et contrer l’extrême droite, mais aussi “rassembler les forces des institutions culturelles et de la société civile pour défendre la démocratie menacée par la montée des partis populistes de droite”, précise Paz Guevera, co-commissaire de l’exposition et chercheuse au sein de la HKW.
Ce projet a été lancé un an avant la tenue des élections fédérales allemandes les plus importantes depuis près de quatre-vingts ans, à l’heure où le nationalisme fait son retour dans un pays qui, en raison de son passé nazi, était jusqu’à présent l’un des rares en Europe à être relativement épargné par la percée fasciste. Même si, nuance Paul Maurice, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) et auteur de l’analyse Trente-cinq ans après la chute du mur de Berlin : à l’Est quoi de nouveau ?, “l’Allemagne a toujours connu des mouvements d’extrême droite, même après 1945”.
La “ligne trumpiste” de l’AfD
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Lors des législatives anticipées, prévues le 23 février prochain, elle devrait s’imposer comme la deuxième force politique du pays. Le profil de ceux qui adhèrent à ses idées ? “Il est le premier parti chez les jeunes qui sont moins conscients des enjeux historiques que représente l’extrême droite en Allemagne. Son électorat est davantage masculin que féminin, qui voit dans les politiques d’égalité des sexes une forme de marginalisation”, poursuit Paul Maurice.
Il précise que la formation a obtenu de grands succès dans l’ex-RDA depuis une dizaine d’années jusqu’à avoir terminé en tête, frôlant voire dépassant 30 % des voix dans trois Länder de l’est de l’Allemagne lors d’élections régionales en septembre dernier.
Texte citation
“Le principal sujet – comme dans beaucoup d’autres pays européens – reste la question migratoire. A l’Est, l’AfD a su mobiliser les électeurs déçus par la réunification, qui votaient auparavant pour les néo-communistes, et ceux qui s’opposent aux politiques – notamment environnementales – menées par les Verts. En cela, il s’inscrit dans une ligne très trumpiste en jouant sur les peurs et en opposant les catégories populaires et les ‘élites’.”
Secrétaire général du Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l'Ifri
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Vigilance et résistance
Les jeunes Allemands auraient-ils la mémoire courte ? Ce parti a-t-il une chance d’accéder au pouvoir ? Pour Paul Maurice, il existe encore en Allemagne un “mur pare-feu” contre l’extrême droite. “Aucun parti à l’échelle fédérale ne souhaite s’allier à l’AfD. A titre d’exemple, depuis 2017, tous s’opposent à l’élection d’un vice-président du Bundestag issu de l’AfD. Leur discours et leur programme sont encore très radicaux et ne se sont pas normalisés. Aucune formation n’obtenant la majorité absolue des suffrages, l’Allemagne gouverne par des coalitions. L’AfD n’a aucune chance d’arriver au pouvoir. Les élections en Saxe, en Thuringe ou dans le Brandebourg en septembre 2024 l’ont montré : même lorsque l’AfD fait plus de 30 %, les partis démocratiques se mettent d’accord pour gouverner ensemble contre lui.”
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>> Lire l’article dans le dossier « Extrême-droite, main basse sur le monde », du numéro 196 du Courrier de l’Atlas, décembre 2024, p. 48-49
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