Désarmement nucléaire : en suspendant sa participation au traité New Start, la Russie "augmente le risque d'escalade"
Une nouvelle marque de défiance aux relents de guerre froide. La Russie a décidé de suspendre sa participation à l'accord bilatéral New Start sur le désarmement nucléaire, a annoncé le président russe, Vladimir Poutine, à la fin d'un long discours adressé à l'Assemblée fédérale, mardi 21 février. Ce traité de réduction des armes nucléaires stratégiques, signé en 2010 avec les Etats-Unis, prévoit notamment de limiter les arsenaux des deux pays à un maximum de 1 550 ogives et 800 lanceurs, soit une réduction de près de 30% par rapport à la limite précédente fixée en 2002.
"Cela concerne des missiles balistiques intercontinentaux, et c'est un héritage de la guerre froide", précise [...] Héloïse Fayet, coordinatrice du programme Dissuasion et prolifération à l'Institut français des relations internationales (Ifri). Début août, la Russie avait déjà déclaré la suspension des inspections américaines sur ses sites militaires, pourtant prévues dans l'accord. "Vladimir Poutine avait annoncé qu'il n'accepterait plus ces inspecteurs, considérant que les Russes étaient empêchés d'aller aux Etats-Unis pour des histoires de visa", explique la chercheuse. "Ce que Washington avait démenti."
"Un effondrement du système de contrôle"
Depuis, les Etats-Unis ne sont plus en capacité d'obtenir des informations sur l'état réel du programme nucléaire russe. "En janvier, le département d'Etat américain avait donc livré une analyse très sévère dans son rapport annuel sur l'implémentation du traité New Start, en écrivant qu'il ne pouvait pas certifier que la Russie respectait réellement le traité", poursuit la chercheuse. L'Otan avait donc réclamé à la Russie la reprise de ces inspections, et Moscou avait en retour accusé Washington d'avoir détruit le cadre juridique du traité.
"Les déclarations de Vladimir Poutine s'inscrivent dans la suite logique de cet effondrement du système de contrôle des armements."
Deux conséquences majeures découlent de la décision de Vladimir Poutine. D'une part, le retrait du traité "entérine cette suspension des inspections de sites d'expérimentation nucléaire, ce qui peut faciliter des préparatifs en vue d'un essai", analyse Héloïse Fayet. D'autre part, cette décision complique la notification en amont des tirs de missiles balistiques stratégiques, qui était la règle sous le traité New Start, notamment lors des tirs d'exercice. Moscou avait par exemple prévenu Washington du tir d'essai de son missile Sarmat, réalisé avec succès en avril 2022.
La porte de New Start claquée par la Russie, quel serait le cadre juridique désormais applicable en matière d'armes nucléaires ?
"L'accord sur les notifications signé entre les Etats-Unis et l'Union soviétique en 1988 semble être toujours en vigueur, tout comme le Code de conduite de La Haye [contre la prolifération balistique], signé par les deux pays. Mais ces textes ne revêtent pas les mêmes contraintes que New Start", détaille la chercheuse. Si jamais les notifications ne sont plus envoyées par la Russie, "cela augmentera le risque d'escalade incontrôlée, car il sera plus difficile de savoir si le tir fait partie d'un exercice", continue Héloïse Fayet.
En revanche, il est peu probable que Moscou utilise cette suspension pour développer son arsenal, "déjà conséquent et qui représenterait un obstacle pour de futures négociations".
L'Otan "regrette" la décision de Moscou
Vladimir Poutine a également déclaré que le ministère de la Défense et le géant public de l'énergie atomique Rosatom devaient se tenir prêts à mener des essais nucléaires, dans le cas où les Etats-Unis en lanceraient au préalable.
"Les Américains ont signé le traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE), mais ils ne l'ont pas ratifié, contrairement à la Russie", explique Héloïse Fayet. "Je vois mal les Américains tester bientôt une arme nucléaire, d'autant qu'ils ne l'ont plus fait depuis des décennies. Mais cela permet à Vladimir Poutine de dérouler son narratif, associant les Etats-Unis à une puissance irresponsable."
Le président russe, par ailleurs, a suggéré que l'Otan rejoigne New Start pour rendre ce traité équitable, "car, au sein de l'Otan, les Etats-Unis ne sont pas la seule puissance nucléaire". Il a notamment cité la France et le Royaume-Uni, qui détiennent aussi des arsenaux nucléaires. Le secrétaire général de l'alliance atlantique, Jens Stoltenberg, a "regretté" la suspension de la participation de Moscou au traité bilatéral, et le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken a dénoncé une décision "très décevante et irresponsable".
Vladimir Poutine, enfin, a accusé Washington d'être impliqué dans des plans visant à frapper des cibles stratégiques. "Ce retour de la rhétorique nucléaire avait disparu les derniers mois", observe Héloïse Fayet.
"Il ne s'agit pas d'une menace nucléaire, mais c'est le signal d'une nouvelle dégradation des relations russo-américaines, car il s'agissait du dernier terrain où les deux pays échangeaient encore des informations." Cette suspension, selon elle, "ajoutera encore un dossier supplémentaire à négocier à la fin de la guerre."
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