Deux titans sur le ring
La rivalité qui oppose les Etats-Unis et la Chine sera l'élément central de ce XXI e siècle. Thomas Gomart, directeur de l'Ifri, décompose les « guerres invisibles » où s'affrontent les deux superpuissances.
Oubliez Sun Tzu ou Carl von Clausewitz. Tout ce que vous voulez savoir sur l'art de la guerre est à trouver chez deux officiers chinois, le général Qiao Liang et le colonel Wang Xiangsui, qui, en 1999, ont détaillé vingt-quatre types de conflits pour le monde d'aujourd'hui. Un effrayant inventaire, admirablement intitulé « La Guerre hors limites », qui va de la guerre nucléaire ou biochimique à la guerre financière, commerciale, médiatique, psychologique, écologique, etc. Leur « grammaire » du conflit, qui dépasse largement le seul cadre militaire, devient indispensable à connaître quand l'on sait la place que va prendre la rivalité sino-américaine dans ce siècle.
C'est parce qu'il est persuadé de l'absolue centralité de cet antagonisme que Thomas Gomart, le directeur de l'Institut français des relations internationales (Ifri), a voulu, en écho aux militaires chinois dont il rappelle les thèses, mettre en lumière les « mécanismes invisibles » de cette compétition entre les deux puissances. Dans son nouvel ouvrage, « Guerres invisibles », il passe en revue chaque terrain d'affrontement, confrontant les positions stratégiques des deux ennemis sur l'environnement, le commerce ou la technologie, en dévoilant comment ils cherchent, en sous-main, à en contrôler les noeuds névralgiques. Car il faut bien comprendre que « Washington et Pékin subordonnent leurs politiques climatique et numérique respectives à leur bras de fer stratégique […] la question pour eux n'est pas de protéger les biens communs sur un pied d'égalité, mais de prendre l'ascendant sur l'autre pour obtenir une suprématie, à partir de laquelle la gestion des biens communs sera organisée ».
Clairvoyance
Si son précédent livre « L'Affolement du monde » , qui a été plusieurs fois récompensé (prix du livre de géopolitique et prix Louis Marin de l'Académie des sciences morales et politiques), était un exercice de lucidité face aux enjeux géopolitiques, celui-ci s'apparente un peu plus à de la clairvoyance. Une fois n'est pas coutume, cet historien de formation s'exerce à la spéculation. A chaque fin de chapitre, après un examen précis des enjeux, il tente de cerner les intentions de trois poids lourds - la Chine, les Etats-Unis et l'Union européenne - sur les dossiers les plus impactants pour l'avenir et qui généreront donc le plus de compétition.
Pour soutenir son analyse, l'auteur s'attache à mettre en lumière les fils invisibles qui font la force de ces puissances : domination de plateformes numériques, innovations technologiques, stratégies fiscales ou juridiques, institutions multilatérales de contrôle, force des devises, puissance militaire et de renseignement, dont il souligne en permanence qu'il faut tous les voir comme des armes de guerre. Le commerce extérieur, notamment, est un instrument de puissance dans une politique nationale. De même, la transition écologique assurera la suprématie d'un Etat selon qu'il approvisionne en matériaux « verts » les autres pays, ou maîtrise les technologies liées à l'environnement…
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Guerres invisibles, Thomas Gomart, Editions Tallandier, 317 pages, 20,90 euros.
Copyright Les echos/ Virginie Robert
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