Devant la « grippe grise »,le tâtonnement des Etats. Complexe, la pandémie déjoue les scénarios logiques
Les scénarios de pandémie sont le plus souvent organisés autour d'une vision claire de "ce qui se passe" : les cas sont détectés, correspondent à un savoirépidémiologique en progression, la puissance publique déploie en conséquence des mesures rationalisées à partir de multiples modèles scientifiques, et préalablement testées. Les services de santé peuvent alors intervenirprécisément pour contenir les nouveaux foyers, éviter la contagion, réduire progressivement l'épidémie, voire éradiquer le virus comme naguère celui de la variole.
Mais la réalité se révèle moins conciliante, plus brouillonne que nos modèles. Elle nous confronte à des objets gris : comme cette "grippe grise", ni vraiment porcine ni réellement mexicaine - peut-être nord-américaine. Quand un virus sort-il assez de la normalité pour justifier une attention accrue, une véritable surveillance ? Lorsque son ADN se révèle inconnu, mutant, et le gratifie donc de la qualité d'émergent, exige-t-il immédiatement une attention soutenue, et la remise en question d'activités humaines courantes : voyages, échanges commerciaux de certains produits d'origine animale (ici le porc) ? Ou doit-on attendre qu'il se révèle "particulièrement" mortel ? Comment évaluer sa dangerosité aussi longtemps que les informations épidémiologiques restent partielles ? Quand et comment appliquerle principe de précaution ?
La décision se construit alors à tâtons, croisant les informations disponibles, confrontant les évaluations d'experts, s'appuyant sur les planifications réalisées au cours des années précédentes. Mais face à une grippe qui demeure "grise", les planifications sont souvent inadaptées, puisque la situation n'est pas encore assez tranchée pour justifier des mesures d'exception (fermeture de frontières - d'une utilité très relative -, fermeture des écoles, etc.) qui ne se justifient qu'une fois un foyer d'épidémie véritablement installé sur le territoire.
Les mesures de transition sont donc dans un premier temps privilégiées, croisant utilité attendue, faisabilité, risque estimé pour la santé du public et pour le fonctionnement de la société et de l'économie. Pour rassurer des populations sensibilisées au risque pandémique par l'expérience du SRAS ou de la grippe aviaire, certains gouvernements décrètent des mesures à visibilité immédiate, comme l'interdiction des importations de porc. Ce faisant, ils mettent à mal le fragile consensus de prudence autour de la grippe grise. Même si des éléments comme l'absence de contamination démontrée entre le porc et l'homme restent soulignés par de nombreux experts, les incertitudes sont assez nombreuses pour justifier l'entrée en scène des classiques protectionnismes.
DYNAMIQUE DE SOLIDARITÉ
Ces mêmes incertitudes expliquent la diversité des réponses des Etats aux mêmes alertes de l'OMS. Alors que pour la grippe aviaire, l'émergence du virus dans des pays d'Asie ou en voie de développement incitait les pays développés à leur témoigner une forte solidarité, notamment pour tenter d'y confiner le virus, le fait que les foyers de "grippe grise" aient émergé dans des pays développés fige au moins temporairement la dynamique de solidarité. Tous les efforts des pays développés semblent aujourd'hui centrés sur l'évolution de la situation chez eux.
Les pays en voie de développement, qui n'ont parfois pas les appareils de surveillance permettant de détecter l'apparition du virus, ni les traitements pour soigner les personnes infectées, risquent de se trouver rapidement dans une situation qu'ils auront du mal à contrôler, avec des taux de mortalité potentiellement supérieurs à ceux observés en Europe ou aux Etats-Unis. Lorsque le brouillard gris se dissipera, ces pays seront peut-être les vraies victimes de cette pandémie qui n'en est - pourtant - pas encore une.
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