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Diplomatie tchadienne au Qatar : marche arrière toute !

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Août 2017 : N’Djamena ferme son ambassade à Doha après seulement sept ans de présence. Au prétexte d’une « tentative de déstabilisation » de l’émirat du Golfe, décrypte notre chroniqueur Benjamin Augé.
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Le communiqué tchadien du ministre des affaires étrangères daté du 23 août ne laisse aucune place au dialogue. Le président Idriss Déby ferme son ambassade au Qatar, pays où il avait pourtant fait le choix d’ouvrir une représentation en 2010. Les diplomates qataris à N’Djamena ont été également invités à quitter le sol tchadien sous dix jours. L’ambassadeur tchadien avait déjà été rappelé à N’Djamena dès les premiers jours de la crise qui secoue la péninsule Arabique depuis le mois de juin.

L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis – suivis par l’Egypte et Bahreïn – accusent le Qatar de soutenir le terrorisme et organisent un blocus terrestre de la péninsule gazière. Tous ces Etats ont également rappelé leur ambassadeur respectif en poste à Doha.

Une mise en cause directe

Pourquoi le Tchad a-t-il fait le choix de passer du rappel de son ambassadeur – pratique courante en diplomatie afin de marquer un mécontentement – à un rappel définitif ? Si l’on se réfère au communiqué du ministère des affaires étrangères, le Tchad reproche « l’implication continue de l’Etat du Qatar dans les tentatives de déstabilisation du Tchad depuis la Libye ». Or, que s’est-il passé sur le terrain ? Le 18 août, un convoi de trafiquants reliant le sud-ouest de la Libye au Darfour soudanais a été intercepté par des éléments de l’armée tchadienne sur son territoire.

Depuis plusieurs mois, ce couloir habituel de trafic entre la Libye, le Tchad et le Soudan est de plus en plus contrôlé par l’armée tchadienne. De ce fait, les trafiquants se regroupent en mutualisant leurs moyens de sécurité. Jusqu’alors, les trafiquants qui rencontraient l’armée tchadienne lors de leur passage sur le territoire se faisaient soit rançonner, soit tentaient de négocier. Cependant, cette fois-ci, les trafiquants, en supériorité numérique, ont riposté, causant la mort de plusieurs soldats de l’armée tchadienne.

Le président Idriss Déby a directement mis en cause le Qatar dans ce dramatique incident en le faisant passer pour une tentative de déstabilisation politique. Il a pu utiliser la présence lors de l’attaque du groupe de l’opposant tchadien basé en Libye Mahamat Hassane Boulmaye, autrefois proche des milices de Misrata, dont certains éléments ont été soutenus par le Qatar au lendemain de la chute de Kadhafi en 2011.

Cependant, l’incident n’avait en l’espèce aucune portée politique, ne poursuivant qu’un but commercial. Responsable de l’escorte de sécurité du convoi du 18 août, Boulmaye, opposant déclaré à Déby, tout comme les trafiquants, proches des rebelles tchadiens Béchir Al-Faïg et Margui Djerou, en ont tout de même profité pour le revendiquer en le faisant passer pour un acte délibéré.

Alors, quel peut être le rôle de l’émirat dans ce trafic au sud de la Libye ? A priori, aucun. Doha a bien conduit des pourparlers de paix entre les tribus toubou et touareg, en conflit dans la zone libyenne d’Ubari (région de Wadi Al-Hayaa). Cependant, depuis cette médiation datant de juin 2015, l’implication du Qatar dans la crise libyenne a considérablement diminué et son influence au sud de la Libye est inexistante.

L’émirat ne dispose ni d’information ni de diplomates permettant de comprendre en profondeur cette région entre le Sud libyen, le Tchad et le Soudan. Idriss Déby tente ainsi d’instrumentaliser politiquement un événement que la plupart des opinions publiques ne comprennent pas, du fait de la complexité des acteurs en présence, afin d’y impliquer le Qatar, qui n’a aucun intérêt dans ce trafic transfrontalier.

Affaiblir l’influence qatarie en Afrique de l’Ouest

Les différends de fond entre le Qatar et Idriss Déby ne manquent pourtant pas. Le principal d’entre eux a d’ailleurs été évoqué par le ministre des affaires étrangères tchadien, Hissein Brahim Taha, lors des interviews qu’il a données pour justifier la rupture diplomatique. Le Qatar accueille depuis 2010 l’ancien directeur de cabinet d’Idriss Déby, son neveu Timan Erdimi. L’exil d’Erdimi au Qatar a pourtant été décidé, avec l’accord de N’Djamena, lors d’une médiation de paix entre le Soudan et le Tchad. Timan Erdimi, chef du parti d’opposition l’Union des forces de la résistance (UFR), était à l’époque au Soudan, d’où il organisait les rébellions contre Déby.

Depuis lors, Erdimi – dont le Tchad n’a pas demandé officiellement par écrit son expulsion – est pris en charge par le Qatar, mais ne peut pas sortir du territoire, n’ayant plus de passeport. Erdimi regroupe cependant bien ses forces armées en Libye pour repartir à l’assaut contre le président tchadien, conduisant à une certaine fébrilité du pouvoir à N’Djamena. Le ministre des affaires étrangères tchadien attribue, sans le dire explicitement, l’attaque du 18 août sur le territoire tchadien aux forces du neveu de Déby alors qu’il s’agit en l’espèce d’un trafic commercial habituel, auquel les forces soutenant Erdimi n’ont pas participé.

Même s’il s’en défend, Déby instrumentalise cet événement afin de couper toute relation avec Doha et se poser en meilleur soutien dans la région des Emirats arabes unis, qui ne supportent pas la montée en puissance du Qatar. Depuis la crise diplomatique entre le Qatar et les émirats, le président Déby a rencontré à plusieurs reprises le prince héritier d’Abu Dhabi, Mohammed Ben Zayed Al-Nahyane. Ce dernier considère le Tchad comme la tête de pont de sa stratégie afin d’affaiblir l’influence qatarie en Afrique de l’Ouest et au Sahel.

L’axe saoudo-émirati

Lors d’une conférence organisée à Paris du 6 au 8 septembre pour lever les fonds nécessaires au plan de développement quinquennal (2017-2021) du Tchad, les Emirats arabes unis ont d’ailleurs largement contribué à ce que la Banque islamique de développement, le fonds de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea) se mobilisent massivement. Ils ont conjointement promis 1,8 milliard de dollars (1,5 milliard d’euros). Un autre forum économique sur les investissements au Tchad doit être organisé le 13 septembre à Abu Dhabi.

 

Actuellement, en dehors du Tchad, le Niger et la Mauritanie sont les seuls Etats de la région à avoir rappelé leurs ambassadeurs en poste au Qatar. D’autres pays africains comme Djibouti ont décidé de réduire leur présence. Quant au Gabon, dont le Qatar est sous la responsabilité de son ambassadeur à Riyad, il a également pris fait et cause pour l’axe saoudo-émirati. Aucune des puissances régionales telles le Nigeria, le Maroc ou l’Algérie n’ont pris position pour un des acteurs du conflit opposant les Etats du Golfe, préférant appeler au dialogue et au succès de la médiation koweïtie en cours.


Benjamin Augé est chercheur associé aux programmes Afrique et Energie de l’Institut français des relations internationales (IFRI).


Lire l'article sur le site du Monde

 

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Benjamin AUGÉ

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