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Dix ans après la mort de Ben Laden : « La fin de la guerre contre le terrorisme ne se décrète pas »

Interventions médiatiques |

interviewé par Stanislas Poyet pour

  Le Figaro
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ENTRETIEN - Malgré des défaites certaines, la menace des groupes djihadistes est toujours vivace. Le chercheur Marc Hecker dresse le bilan de vingt ans de lutte contre le terrorisme.

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Voilà dix ans qu'Oussama Ben Laden a été éliminé par les Navy Seals américains dans sa résidence pakistanaise d'Abbottabad, au terme d'une traque qui aura duré 10 ans, depuis les attentats du 11 septembre 2001 qui ont précipité le XXIe siècle naissant dans une guerre mondiale contre le terrorisme islamiste.

En 2021, les États-Unis entament la dernière phase de leur retrait en Afghanistan, vingt ans après avoir envahi le pays pour traquer al-Qaïda ; la France s'est engagée dans un conflit comparable au Sahel, où elle tente de résorber la menace djihadiste qui ne cesse pourtant de croître aux quatre coins du désert. Pour le Figaro, le chercheur Marc Hecker directeur de la recherche à l'Ifri et co-auteur de La Guerre de vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXIe siècle (Robert Laffont, avril 2021), propose une rétrospective de la « guerre contre le terrorisme » et dresse des perspectives pour les années à venir.

LE FIGARO. - Vingt ans après le 11 septembre 2001, 10 ans après la mort d'Oussama Ben Laden, que reste-t-il d'al-Qaïda ? Du djihad international ?

Mark HECKER. - Al-Qaïda a subi plusieurs coups durs depuis le début de l'année 2020. Le numéro 2 de l'organisation a été tué en Iran, le chef d'al-Qaïda au Maghreb islamique a été éliminé au Mali et l'émir d'al-Qaïda dans la péninsule arabique a été neutralisé au Yémen. Cependant, la mouvance qaïdiste perdure. Elle adopte une stratégie plus pragmatique que Daech en nouant des alliances locales. On le voit par exemple au Sahel avec son inclusion dans une coalition pluriethnique appelée « Rassemblement pour la victoire de l'islam et des musulmans » (RVIM). Al-Qaïda est donc bien vivace et le djihadisme international l'est plus encore.

Couper la tête d'al-Qaïda en 2011, de l'EI (État islamique) en 2019 n'a pas suffi à détruire ces groupes. Comment expliquer la résilience des groupes djihadistes qui survivent aux opérations «d'attrition» menées par les puissances occidentales ?

Les stratèges d'al-Qaïda et de Daech ont bien compris que la décentralisation permet de gagner en résilience. Dès 2004, al-Qaïda a commencé à créer des « filiales» dans différents pays. Dix ans plus tard, Daech a annoncé la restauration du califat, développant des «provinces» dans le monde musulman. Une autre méthode de décentralisation a été partagée par ces deux groupes : l'utilisation d'Internet pour susciter des vocations djihadistes, notamment dans les pays occidentaux.

Vous parlez d'un drame en 5 actes, pouvez-vous les expliquer brièvement ?

Le livre La Guerre de vingt ans est effectivement divisé en 5 actes. De 2001 à 2006, c'est l'onde de choc des attentats du 11-Septembre. Les États-Unis réagissent en renversant les Talibans en Afghanistan puis le régime de Saddam Hussein en Irak. De 2006 à 2011, de nouvelles méthodes de contre-insurrection sont mises en œuvre pour tenter de stabiliser ces deux pays. De 2011 à 2014, les djihadistes profitent du printemps arabe pour se relancer. De 2014 à 2017, c'est l'apogée de Daech en zone syro-irakienne. Enfin, le cinquième acte est encore en cours : la menace s'adapte à la perte du sanctuaire levantin. Il s'agit maintenant de savoir si cette «Guerre de vingt ans» peut prendre fin.

Joe Biden a justement annoncé le retrait des troupes d'Afghanistan pour le 11 septembre 2021 alors que les Talibans sont aux portes du pouvoir ; au Sahel, la menace djihadiste s'étend malgré les efforts de l'opération Barkhane. Peut-on gagner des guerres contre le terrorisme ?

Le cycle stratégique qui s'est ouvert avec les attentats du 11 Septembre 2001 est probablement en train de se clore. Les États-Unis et leurs principaux alliés sont lassés par vingt ans de guerre contre le terrorisme, d'autant que ce conflit ressemble à un mythe de Sisyphe stratégique : l'ennemi est traqué sans relâche mais il semble capable de se régénérer sans cesse. En Afghanistan comme au Sahel, la mauvaise gouvernance constitue un terreau fertile pour le djihadisme. Dans ce contexte, l'action des armées occidentales peine à être décisive: la solution, en définitive, est entre les mains des acteurs locaux. Nous pouvons les aider mais pas les suppléer indéfiniment. Si l'administration Biden souhaite tourner la page de la guerre contre le terrorisme, c'est aussi pour se concentrer sur d'autres défis qui requièrent des ressources importantes, comme la montée en puissance de la Chine, les questions sanitaires ou encore le changement climatique.

2021 est-il l'aube d'un sixième acte ?

Les pays occidentaux veulent fermer la parenthèse de la guerre globale contre le terrorisme, mais la fin d'une telle guerre ne se décrète pas. La volonté de l'ennemi ne peut être ignorée et, en l'occurrence, les djihadistes restent déterminés à frapper. La lutte contre le terrorisme va donc se poursuivre, mais selon des modalités plus légères que celles qui ont prévalu depuis 2001. Il ne devrait plus y avoir des déploiements militaires massifs comme en Afghanistan ou en Irak. À moins que la mouvance djihadiste se montre capable d'une nouvelle surprise stratégique, comparable au 11 Septembre 2001 ou à la restauration du califat…

20 ans après, quels enseignements tirez-vous de cette guerre contre le terrorisme ?

Dans La Guerre de vingt ans, nous tirons des enseignements stratégiques à la fin de chacune des parties. Il est impossible de les résumer en quelques mots. Je n'en citerai donc qu'un seul : il ne faut ni sous-estimer ni surestimer l'ennemi. Les djihadistes ont une véritable pensée stratégique, ils savent innover et font preuve d'une remarquable capacité d'adaptation. Ils peuvent nous porter des coups et nous faire mal. Mais ils ne constituent pas une menace existentielle et ils ont des faiblesses manifestes à l'instar de leurs luttes intestines. En surréagissant, nous risquons d'entrer dans un processus d'escalade dangereux. Évidemment, il est très difficile de mesurer le bon dosage de la réaction. On sait depuis Sun Tzu que la guerre relève autant de l'art que de la science.

 

Copyright Le FIgaro / Stanislas Poyet

 

>> Retrouver l'interview sur Le Figaro

 

 

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Marc HECKER

Marc HECKER

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Directeur adjoint de l'Ifri, rédacteur en chef de Politique étrangère et chercheur au Centre des études de sécurité de l'Ifri