EDF, une paranoïa dans l’entourage d’Olaf Scholz
Il s’appelle Jörg Kukies, il conseille le chancelier allemand Olaf Scholz, et sa crainte du nucléaire français tourne à la paranoïa. Récit.
À l'Élysée, on a pris la mesure du trouble allemand… Depuis plusieurs mois, l'entourage d'Olaf Scholz rumine sur le nucléaire français et l'avantage compétitif que l'atome est censé redonner à la France. Impossible de trouver un compromis sur les textes européens qui doivent profiler l'avenir énergétique du continent. L'Allemagne, toujours, s'oppose au nucléaire français. Plus préoccupant : depuis quelque temps, la mauvaise humeur allemande s'est transformée en paranoïa.
Jörg Kukies, le tout-puissant conseiller pour les affaires européennes et économiques du chancelier, s'est laissé dire qu'EDF aurait démarché des entreprises allemandes, les incitant à s'installer en France en leur proposant des contrats d'approvisionnement électrique de long terme à prix cassé. En somme, il s'est imaginé que la France, profitant de la faiblesse allemande du moment, poignardait son partenaire.
Non, EDF ne démarche pas les entreprises allemandes
Quand l'Élysée réalise à quel point l'entourage de Scholz est troublé, les proches de Macron prennent langue avec Luc Rémont, le patron d'EDF. Ce dernier tombe de sa chaise. Non seulement EDF n'a effectué aucune démarche en ce sens, mais l'entreprise publique française serait bien incapable de proposer des tarifs inférieurs de 5 à 7 fois le prix du marché. Et pour cause : EDF porte une dette de 64,5 milliards d'euros et la relance du parc nucléaire ainsi que le grand carénage ont un coût important qu'il va bien falloir financer... Les prix discount, ce n'est pas l'ambiance. Et quand l'Arenh sera arrivé à son terme en 2025, les tarifs, bien au contraire, augmenteront. Tout le monde le sait. Bref, la rumeur qui a circulé au sommet de la chancellerie allemande est une intox. De qui ? Qui a intérêt à semer la zizanie entre Paris et Berlin ?
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L'Arenh, une obsession allemande
Ce n'est pas la première fois que le conseiller de Scholz fait part de ses inquiétudes aux Français. En juin, Kukies était déjà obsédé par le tarif de l'Arenh (42 euros le MWh), à ses yeux trop bas. Il lui était insupportable que la dette d'EDF soit en quelque sorte payée par les Allemands. Il s'inquiétait du prix auquel la France allait facturer le nucléaire historique (le parc déjà installé). Il ressassait que l'Allemagne avait besoin de dix ans pour revenir dans le jeu. Il lui paraissait inacceptable que la réforme du marché de l'électricité consacre l'avantage français. Rien à voir avec les arguments servis d'habitude par Robert Habeck sur la gestion des déchets nucléaires ou les risques, ou le retard français sur les énergies renouvelables. « Kukies raisonne comme si le tarif de l'Arenh allait être constant sur dix ans, c'est faux », s'insurge-t-on chez les Français.
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Une retraite franco-allemande au bord de l'Elbe
Sauf que Kukies, l'ancien banquier de Goldman Sachs, a besoin d'en être mathématiquement convaincu. Alors, Kohler aligne les chiffres, les comparaisons réglementaires, les différentiels de salaires... Deux heures d'une discussion nourrie vont-elles suffire à désamorcer une rumeur maligne à quelques jours d'une rencontre informelle entre les gouvernements français et allemands, les 9 et 10 octobre, à Hambourg ?
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Alexis Kohler et son équipe ont plutôt souligné que le danger venait d'ailleurs : l'IRA américain, vaste aspirateur à entreprises, est plus sûrement en train de mettre en péril l'industrie allemande. Dans le secteur des semi-conducteurs, Intel a demandé à Berlin de s'aligner sur une proposition de subventions américaines. Et le gouvernement Scholz n'a pas hésité à débourser près de 10 milliards d'euros d'aides publiques afin de garantir le vaste projet de construction de deux « méga fabs » à Magdebourg, dans le Land allemand de Saxe-Anhalt...
Une note de l'Ifri, publiée ces jours-ci, photographie parfaitement les défis qui s'imposent au modèle allemand. « La flambée des prix de l'énergie constitue un frein à la production et un problème de compétitivité globale de l'industrie », écrit Éric-André Martin, le secrétaire général du Comité d'études des relations franco-allemandes. Cela affecte très durement les secteurs à forte intensité énergétique, tels que la chimie, la métallurgie ou la verrerie, qui représentent près du quart des emplois industriels. Un sujet essentiel au regard de la place de l'industrie manufacturière allemande, qui assure 24 % du PIB et 19 % des emplois directs.
Un débat s'est engagé sur le risque de désindustrialisation du pays au regard de l'attractivité du marché chinois et du marché américain. Selon une étude de la chambre allemande de commerce et d'industrie, le tiers des entreprises allemandes (32 %) privilégient les projets d'investissement à l'étranger par rapport au territoire national, deux fois plus en un an. Ces chiffres font écho aux annonces de grands groupes, comme BASF, de réduire leur production industrielle en Europe, au profit d'autres marchés. On prend les angoisses de la Chancellerie. Les solutions seront-elles nationales ou franco-allemandes ? Rendez-vous à Hamboug à la Klausur...
> Lire l'article sur le site de Le Point.
>Lire la l'analyse d'Eric André Martin La fin d’une parenthèse heureuse. Comment la guerre d’Ukraine contraint l’Allemagne à repenser son modèle, Notes du Cerfa, n° 175, Ifri, septembre 2023.
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