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Emmanuel Macron sur la voie du néo-idéalisme

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En politique étrangère, les inflexions se notent sur la durée. La guerre d’Ukraine fait réapparaître de nombreuses lignes de faille au sein de l’Union européenne (UE), en dépit de l’unité affichée face à la Russie. En 2003, Paris, Berlin et Moscou s’étaient opposés, sur le plan diplomatique, à la coalition dirigée par Washington et Londres contre l’Irak. Les pays d’Europe centrale et orientale qui se préparaient à rejoindre l’UE et l’OTAN s’étaient ralliés à la position américaine au grand dam de Jacques Chirac.

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Thomas Gomart
Thomas Gomart
Mike Chevreuil
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Ils avaient « manqué une bonne occasion de se taire » selon le Président français : « Ces pays ont été à la fois, disons le mot, pas très bien élevés et un peu inconscients des dangers que comportait un trop rapide alignement sur la position américaine », estimait-il. Donald Rumsfeld (1932-2021) avait alors pointé le clivage entre la « vieille Europe » et la « nouvelle Europe ».

Vingt ans plus tard, Emmanuel Macron a modifié la position française dans son discours de Bratislava, lors du sommet Globsec. Il a ainsi fait écho aux propos de son prédécesseur : « D’aucuns vous disaient alors que vous perdiez des occasions de garder le silence. Je crois aussi que nous avons parfois perdu des occasions d’écouter. » Si la volonté de réparer l’outrage diplomatique était aussi nécessaire que bienvenue, il n’en demeure pas moins que ces pays se sont profondément trompés jadis en se laissant entraîner dans une guerre qui n’était pas la leur. Que se joue en Ukraine le destin de l’Europe explique l’unité actuelle face à la Russie.

Prononcé à la veille du deuxième sommet de la Communauté politique européenne (CPE), qui s’est tenu en Moldavie, le discours de Macron marque une étape importante dans la mesure où il explique pourquoi l’Ukraine doit être soutenue dans la durée. Le Président relie la Guerre froide, les élargissements de l’OTAN et la guerre d’Ukraine, en se référant à Milan Kundera. En 1983, dans la revue Le Débat, Kundera avait publié un article retentissant, « Un Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale », qui constatait que les pays satellites de Moscou avaient « disparu de la carte de l’Occident ». Constat qui valait accusation. À Bratislava, Macron a déclaré : « Dans ce moment que nous vivons, nous ne devons pas laisser l’Occident être kidnappé une deuxième fois. »

Ce discours conduit à voir la guerre d’Ukraine comme un test de volonté pour les Européens et à reconnaître qu’« il n’y a pas de place en Europe pour un fantasme impérial ». Pour réussir ce test, le Président explique que « nous devons aussi, pour être crédibles vis-à-vis de la Russie, nous mettre en situation, nous et nos opinions publiques, de soutenir dans la durée l’Ukraine dans un conflit de haute et moyenne intensité ». Comme souvent, il revient sur la nécessité pour les Européens de construire « une capacité européenne plus souveraine en matière énergétique, technologique et militaire ». Et insiste sur l’absolue nécessité d’être partie prenante aux futurs accords de sécurité qui les concerneront. À cet égard, deux points méritent d’être soulignés : le projet de se doter d’une capacité de frappe dans la profondeur ; le projet de bâtir une défense antiaérienne coordonnée.

Présentant la CPE comme un « laboratoire géopolitique », Macron souligne qu’il s’agit d’une initiative destinée à construire une nouvelle architecture institutionnelle qui ne soit ni un concurrent à l’OTAN, ni un substitut à son élargissement. C’est un point particulièrement sensible pour les années à venir car Paris, qui s’en défend, est toujours suspecté de vouloir favoriser l’approfondissement à l’élargissement. Le discours de Bratislava vise précisément à dissiper le scepticisme fondamental des capitales européennes, souvent troublées par les déclarations présidentielles sur la Russie.

Le discours de Bratislava intervient au moment où un clivage se dessinerait entre les dirigeants européens qui embrassent un nouvel idéalisme géopolitique (Kaja Kallas, Sanna Marin, Artis Pabriks, Gabrielius Landsbergis ou Jan Lipavský, par exemple) et ceux qui voudraient faire passer le grand jeu de la puissance avant l’ordre libéral et démocratique. Le président Macron serait le chef de file des seconds1. Son discours peut se lire comme une tentative de rapprochement avec les premiers.

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1 Benjamin Tallis, « Qui soutient Zelensky ? Naissance et doctrine du néo-idéalisme », dans Le Grand Continent, Fractures de la guerre étendue : de l’Ukraine au métavers, Gallimard, « Esprits du monde », 2023, pp. 82-83.
 

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