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Etats-Unis-Europe : le temps des retrouvailles et des désillusions

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  Jean Quatremer
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Au siège de l'Otan, lundi à Bruxelles, Joe Biden a rompu avec l'hostilité affichée par Donald Trump envers l'Union européenne. Mais le monde a changé et le retour à la situation antérieure semble exclu. Le sommet de ce mardi avec l'UE devrait le confirmer.

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L'Amérique de papa, celle qui a permis à l'Europe de vivre confortablement à l'abri du parapluie de l'Oncle Sam depuis 1945, est-elle de retour ? Une majorité de pays européens l'espère ardemment afin de laisser à nouveau la marche du monde aux mains des Etats-Unis et pouvoir ainsi retourner à leur domaine d'excellence, le commerce, loin des rêves français d' « autonomie stratégique européenne ». « Le logiciel de l'Union européenne est un logiciel bisounours, pas bismarckien », ironise Jean-Louis Bour- langes, le président de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée.

Mais les capitales qui caressent cet espoir risquent d'être déçues : même si Joe Biden a proclamé dimanche, à l'issue du G7 organisé au Royaume-Uni, que « l'Amérique est de retour à la table », ce n'est certainement plus la même Amérique qui l'a renversée sous le mandat de Donald Trump. « De l'eau a coulé sous les ponts depuis 2016 », euphémise un diplomate européen de haut rang. « Pour dire les choses brutalement, les Etats-Unis n'ont pas vraiment besoin d'une Europe perçue comme un continent faible, divisé, vieillissant et sans réserve de croissance », lâche Gérard Araud, l'ancien ambassadeur de France à l'ONU puis à Washington. Il ne s'agit pas de nier les différences entre Biden et Trump, dont la plus immédiatement perceptible est sa civilité, qu'ont déjà pu apprécier les Européens lors d'une visioconférence organisée en mars entre les Vingt-Sept et le président américain ou lors du G7 des Cornouailles. Terminées les menaces à l'égard d'une UE qualifiée par l'ancien président d' « ennemi » des Etats-Unis et dont il souhaitait ouvertement la disparition. « Cette administration trouve les mots, elle recherche des coopérations », se réjouit le diplomate de haut rang déjà cité.

Le sommet avec Charles Michel, le président du Conseil européen, et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, qui se tient ce mardi à Bruxelles, au lendemain d'un sommet de l'Alliance atlantique, est d'ailleurs surtout symbolique. « C'est un geste d'apaisement bienvenu dont Donald Trump se serait évidemment dispensé et dont même Barack Obama, qui était largement indifférent aux affaires de l'UE, se serait sans doute passé pour privilégier une rencontre bilatérale avec Angela Merkel ou Emmanuel Macron », estime un diplomate européen. Reste qu'il n'a échappé à personne que Biden n'a toujours pas trouvé le temps de nommer un ambassadeur auprès de l'Union après cinq mois de pouvoir, un symbole aussi.

Il est vrai que Trump avait mis un an et demi pour le faire. Ce sommet UE-Etats-Unis est aussi la marque d'un retour d'affection des Américains pour le multilatéralisme dont sont si friands les Européens, comme le montrent notamment leurs retours dans l'Accord de Paris sur le climat, dans l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et à la table du G7. Leur attitude s'annonce aussi plus constructive à l'égard de mondiale du commerce (OMC), dans leur volonté de relancer les négociations avec l'Iran ou encore, bien sûr, leur engagement renouvelé à l'égard de l'Otan. Ainsi, Joe Biden a déclaré lundi que cette dernière était d' « une importance capitale » pour les intérêts américains et que « l'article 5 est une obligation sacrée », en référence à la doctrine de défense collective de l'Alliance atlantique : « Je veux que toute l'Europe sache que les Etats-Unis sont là », a affirmé le Président, ce qui n'était plus évident depuis 2017. « On retrouve des créneaux de dialogue », se réjouit un diplomate français.

  • « Biden est très européen de ce point de vue, il veut restaurer la posture morale des Etats-Unis », juge Laurence Nardon, chercheuse à l'Institut français des relations internationales (Ifri). Et pour ce faire, « il reprend le contrôle du narratif, comme il l'a montré avec la fiscalité des entreprises, alors que les Européens travaillent sur ce dossier depuis 2015, ou sur les brevets des vaccins contre le Covid alors que ce sont les Européens qui ont exporté le plus grand nombre de doses. Sur ces dossiers, les Etats-Unis ont montré aux Européens qu'ils restaient les maîtres de la communication ».

« PROFITEUR »

Pour autant, il serait inexact de croire que l'administration démocrate « va revenir à la diplomatie américaine traditionnelle », martèle la directrice du programme Amérique du Nord à l'Ifri. « Même si la ligne n'est pas encore très claire », complète un diplomate européen, car elle semble dépendre des sujets et des rapports de force au sein du Parti démocrate. Déjà, il est certain qu'il n'y aura pas de retour en arrière sur le protectionnisme, la défense des classes moyennes américaines demeurant au coeur de la politique de la nouvelle administration, qui « reste durablement traumatisée par le déroulement de l'élection », souligne Gérard Araud, les Etats-Unis ayant pris conscience de la fragilité de leur démocratie. Ce n'est pas un hasard si Washington n'a pas levé les sanctions frappant l'acier et l'aluminium européens qu'avait décidées Trump, bien que l'UE ait décidé unilatéralement de ne pas appliquer de nouveaux droits de douane au 1er juin comme elle en avait le droit, pas plus qu'elle n'a fait de geste concret en faveur du règlement du conflit entre Boeing et Airbus.

Autant dire qu'il n'est pas du tout certain que les Etats-Unis acceptent sans broncher que l'Union européenne impose une taxe carbone à ses frontières ou soumette à l'impôt les Gafa pour leurs profits réalisés sur le Vieux Continent. Le retour au multilatéralisme n'ira sans doute pas non plus jusqu'à relancer des grands accords de libre-échange comme le Partenariat transpacifique (TPP) dont Trump s'est retiré ou le Partenariat transatlantique (TTIP) que Berlin aimerait bien sortir du tiroir :

  • « Le libreéchangisme commercial n'est plus leur truc et cela unit le Parti républicain et la gauche démocrate », estime Laurence Nardon, car il est perçu comme une menace pour les intérêts des travailleurs américains.

« Les Américains n'ont jamais été très ouverts, mais après Trump c'est irréversible », abonde le diplomate de haut rang déjà cité : « C'est et ça restera "America first". » Surtout, les Européens doivent comprendre que la politique étrangère américaine a définitivement pivoté vers la Chine et la domination du monde, tant économique, que technologique, politique ou militaire qu'elle vise et qui met en péril le leadership mondial que revendiquent les Etats-Unis.

Et dans le cadre de l'affrontement - froid pour l'instant - qui se profile, l'Europe ne compte quasiment pas aux yeux des Américains, ou pas plus que ne comptent des troupes supplétives qui peuvent donner un coup de main quand c'est utile. De ce point de vue, Biden a marqué un point en parvenant à convaincre ses partenaires de l'Alliance atlantique, en dépit des réticences françaises, de désigner la Chine comme menaçant les intérêts de l'Otan, ce qui élargit son champ d'intervention: « Les ambitions déclarées de la Chine et son comportement affirmé représentent des défis systémiques pour l'ordre international fondé sur des règles et dans des domaines revêtant de l'importance pour la sécurité de l'Alliance », proclamait le communiqué final du sommet. « Les Etats-Unis vont être plus présents dans le monde, mais tout s'organisera autour du défi fondamental de la Chine », estime un diplomate français.

Pour les Européens, cela pose une question existentielle : Biden a-t-il besoin d'une UE forte ? Dans le domaine du soft power (commerce et normes, coeur de métier de l'Union), cela ne fait guère de doute. Sur les questions militaires, y compris dans le domaine cyber, c'est beaucoup moins clair :

  • « Ils doutent de notre soutien en cas de coup dur et pensent que l'Union européenne se complaît dans sa situation de sujétion et de profiteur du parapluie américain », décrypte Laurence Nardon. D'autant qu'il sait que les Européens sont profondément divisés sur le sujet chinois (après tout, ils ont vendu à Pékin le port grec du Pirée) ou même russe, l'Allemagne au premier chef privilégiant ses intérêts commerciaux.


«INDÉPENDANCE»

« La question de nos relations avec les Etats-Unis pose en réalité la question de ce qu'est l'UE », analyse le diplomate de haut rang déjà cité. C'est toute la question de « l'autonomie stratégique européenne » prônée par le chef de l'Etat français, qui a profité du vide laissé par Trump pour commencer à la mettre en oeuvre en multipliant des projets de coopérations militaires européens (système de combat aérien et chars de combat du futur, drones, etc.). Pour l'instant, la nouvelle administration n'a rien dit sur le sujet, mais Emmanuel Macron a bien conscience des risques qu'elle fait peser sur ses ambitions, ses partenaires européens n'ayant guère envie de s'occuper des affaires du monde dès lors que Washington est prêt à le faire. Jeudi, lors d'une conférence de presse, il a donc souhaité que Washington « reconnaisse cette nouvelle donne européenne et que nous sachions bâtir un nouveau partenariat avec les Etats-Unis, que nous puissions avoir aussi notre voie, communauté de valeurs, mais indépendance quand il s'agit de notre stratégie à l'égard de la Chine » : « ni être vassalisé par la Chine, ni être aligné sur ce sujet avec les Etats-Unis ». Cet « entre-deux » qui ne gêne pas Jean-Louis Bourlanges: « Quand on voit l'état de démobilisation psychologique de l'Europe occidentale, notamment de l'Allemagne, le réengagement des Etats-Unis dans l'Otan est une bonne nouvelle puisque c'est le seul cadre dans lequel les Européens arrivent à coopérer sur le plan militaire. Sans l'Alliance, l'Europe serait conduite à une attitude munichoise. » 


  • « Les ambitions déclarées de la Chine et son comportement affirmé représentent des défis systémiques pour l'ordre international. » Le communiqué final du sommet de l'Otan

     

>> Retrouvez l'article sur le site de Libération

 

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Laurence NARDON

Laurence NARDON

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Responsable du Programme Amériques de l'Ifri