Europe : la lune de miel ratée entre Macron et Merkel
Le président de la République avait placé beaucoup d'espoirs, en vain, dans le couple Paris-Berlin. Dernière crise en date, les passes d'armes au sujet du Conseil de sécurité de l'ONU.
Il est indispensable à l'Europe, surtout depuis le Brexit, mais incapable de supporter une vie commune. Après les grincements de dents franco-allemands provoqués par la crise migratoire de 2015, Emmanuel Macron avait placé beaucoup d'espoirs dans le couple Paris-Berlin, dont il avait fait le principal levier de sa relance de l'Europe. Mais le grand discours de la Sorbonne en septembre 2017, avec les ambitions qu'il prêtait à la coopération franco-allemande, paraît aujourd'hui bien loin. La lune de miel entre Paris et Berlin s'est voilée dès le premier jour, tant le fossé politique, culturel et militaire demeure grand entre les deux puissances européennes. Dernière crise en date, les passes d'armes au sujet du Conseil de sécurité de l'ONU.
- « L'Allemagne veut une armée puissante, mais elle ne veut ni l'engager ni l'utiliser. C'est là une contradiction qui ne sera pas levée dans un avenir proche », un officier
Fin novembre, le ministre des Finances allemand, Olaf Scholz, a suggéré que la France cède son siège permanent à l'Europe. Réponse exaspérée de Paris, qui a rappelé qu'une telle décision violerait la charte de l'ONU. L'attaque de Berlin rappelle à quel point l'Allemagne, géant économique, n'accepte pas la volonté d'Emmanuel Macron de prendre le leadership de l'Union européenne. Mais elle n'est que la face émergée de l'iceberg.
À l'Élysée, on continue officiellement à croire à la relance, notamment en ce qui concerne le volet défense du rapprochement entre les deux capitales. «L'Allemagne n'est plus le pays réticent à toute projection extérieure qu'il était avant», explique un diplomate proche du dossier. Les cultures stratégiques demeurent pourtant aux antipodes et les promesses d'engagement géopolitique d'Angela Merkel ont depuis fait long feu. «Je ne vois aucun début de changement dans l'attitude allemande. L'Allemagne veut une armée puissante, mais elle ne veut ni l'engager ni l'utiliser. C'est là une contradiction qui ne sera pas levée dans un avenir proche», affirme un officier.
Les militaires français, qui ont toujours préféré travailler avec l'armée britannique, une armée habituée comme eux aux interventions extérieures, redoutent par-dessus tout ce qu'ils appellent une « germanisation » des forces françaises. L'incompréhension est aussi économique. Le commissaire européen au Budget, Günther Oettinger (CDU), a regretté en décembre le dérapage budgétaire consécutif aux « cadeaux » financiers destinés à calmer la crise des « gilets jaunes », qui provoquera un dépassement du déficit budgétaire au-delà de la règle européenne des 3 % du PIB.
Des positions incompatibles
Avant les difficultés intérieures françaises, c'est l'Allemagne qui avait fait faux bond. La dynamique de rapprochement franco-allemand a été brisée net par l'entrée du parti d'extrême droite AfD au Parlement en septembre 2017. Vécue comme un tremblement de terre par les partis politiques traditionnels, elle a aussi limité la marge de manœuvre d'Angela Merkel, qui a placé son pays aux abonnés absents de l'Europe pendant six mois, le temps de trouver une coalition. Affaiblie, Merkel n'a pas saisi les perches tendues par Emmanuel Macron. Le président français a-t-il été trop optimiste ? Certains experts considèrent que même sans la crise politique allemande, le projet d'Emmanuel Macron aurait été difficile à appliquer.
- « Les Allemands estiment que tant que Paris n'a pas fait ses réformes au niveau national, il est inutile de se projeter dans les réformes européennes », Barbara Kunz, spécialiste de l'Allemagne à l'Institut français des relations internationales
« Il ne faut pas sous-estimer les différences fondamentales et structurelles des deux pays, leurs positions incompatibles », souligne Barbara Kunz, spécialiste de l'Allemagne à l'Institut français des relations internationales (Ifri). Paris et Berlin ont des approches radicalement différentes de la zone euro, l'Allemagne refusant la perspective de payer pour les pays endettés du Sud. Les réformes françaises ont été jugées insuffisantes par Berlin. « La tradition allemande est de se méfier des promesses de réforme françaises. Les Allemands estiment que tant que Paris n'a pas fait ses réformes au niveau national, il est inutile de se projeter dans les réformes européennes », poursuit Barbara Kunz.
Emmanuel Macron a aussi, selon elle, sous-estimé le poids des partis politiques allemands. « La marge de manœuvre d'Angela Merkel sur la zone euro est en fait assez faible. La chancelière a investi beaucoup de capital politique dans la crise des migrants, elle pouvait difficilement imposer des idées différentes sur ce sujet », poursuit-elle. Reste la valeur symbolique du traité d'Aix-la-Chapelle, qui ne doit pas être sous-estimée. À l'heure où la Grande-Bretagne quitte l'UE et où les mouvements « populistes » ont le vent en poupe en Europe, la réaffirmation par deux grands pays européens d'une volonté commune d'approfondir la coopération peut servir de base pour l'avenir.
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