“Fauda”, “Our Boys”... Comment les séries israéliennes participent à “la guerre des récits”
Amélie Férey est chercheuse à l’Institut français de relations internationales (Ifri), au sein du centre des études de sécurité, où elle coordonne le laboratoire de recherche sur la défense. Dans le champ de ses recherches sur la stratégie militaire, elle observe de près les séries et la place qu’elles occupent dans ce qu’elle nomme la guerre des récits contemporains. En janvier 2023, elle a signé, à propos de Fauda, un passionnant chapitre dans Les Séries. Laboratoires d’éveil politique, très solide ouvrage dirigé par la philosophe Sandra Laugier aux éditions du CNRS. À l’aune des récentes attaques du Hamas en Israël, elle analyse les représentations du conflit israélo-palestinien dans des productions telles que Fauda (sur Netflix) et Our Boys (sur MyCanal).
Quelles représentations de l’armée israélienne et du conflit israélo-palestinien des séries comme Fauda (Netflix) et Our Boys (Canal+) contribuent-elles à exporter ?
Il y a plusieurs courants dans les représentations audiovisuelles de Tsahal dans les productions israéliennes. Un premier courant est marqué par ce que l’on appelle le « shoot and cry » – on tire et on pleure –, et cela revient à mettre en scène la culpabilité des soldats de Tsahal à utiliser la force, à rendre compte de leurs interrogations morales. Our Boys relève de cette tendance-là. Un des personnages principaux, un agent du Shin Bet incarné par Shlomi Elkabetz, se demande où réside le vrai Israël. Il est partagé entre, d’une part, son identité religieuse et ses liens familiaux et, d’autre part, sa volonté de préserver un État israélien démocratique, qui nécessite de lutter contre le terrorisme des colons.
Fauda n’opère pas du tout sur le même registre, et marque une vraie rupture dans les représentations audiovisuelles, dans le sens où l’usage de la force y est assez décomplexé. Autre nouveauté, à mon sens : cette série montre la violence des Palestiniens à l’écran, et tend à mettre sur un pied d’égalité, en la matière, Israéliens et Palestiniens. On avait rarement vu cela avant.
Quelle géographie du conflit montrent-elles ?
Our Boys montre Jérusalem, Ramallah et la Cisjordanie. Parmi les critiques régulièrement adressées à Fauda, il y a celles de ne pas montrer le mur de sécurité, ni les check-points auxquels sont soumis quotidiennement les Palestiniens. D’ailleurs, on a l’impression, quand on regarde la série, qu’ils peuvent pénétrer en voiture dans Tel-Aviv sans aucun problème. Dans les faits, la Cisjordanie est quadrillée par des check-points et c’est assez compliqué pour des Palestiniens de rentrer sur le territoire israélien.
L’autre aspect saillant de Fauda, c’est que le territoire est souvent filmé du point de vue de drones. Avec cette idée d’omniscience et de suprématie technologique qu’aurait Israël pour surveiller la Cisjordanie et les mouvements des Palestiniens. C’est une géographie extrêmement sécuritaire, déployée principalement du point de vue du système de surveillance israélien, et tout particulièrement des drones. Les événements récents ont justement montré que l’on ne peut pas se reposer uniquement sur cette suprématie technologique, qu’elle n’est pas infaillible.
Dans Our Boys aussi, cette surveillance et cette suprématie technologique sont présentes, mais mises en scène différemment. On voit souvent le personnage de Shlomi Elkabetz dans les locaux du Shin Bet [le service de renseignement intérieur israélien, ndlr] en train de regarder, derrière une multitude d’écrans, des images de vidéosurveillance. C’est quelque chose d’assez nouveau, dans la représentation de Tsahal, à l’écran, par rapport à des films comme Beaufort [réalisé par Joseph Cedar en 2007, ndlr], par exemple, qui suivait des tankistes sur des bases militaires.
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