Géopolitique. Doit-on se réfugier dans la citadelle européenne ?
Dans le Ramses 2020, le président de l’IFRI défend l’ultime recours à une Union européenne qui pourrait se reconstruire autour des valeurs. Qualifiés de puissances impérialistes, les États-Unis et la Chine donnent le là à un monde bipolaire où l’horizon devient de plus en plus chargé.
Comment, dans un monde bipolaire USA-Chine, ne pas être un simple sujet de l’histoire, ballotté entre ces deux puissances ? La question est à la fois simple et extrêmement complexe, les alternatives n’étant pas légion. Lors de la présentation du Ramses 2020, mercredi, au Policy Center for the New South (Rabat), Thierry de Montbrial (photo) a tenté de dépeindre l’UE comme cette troisième voie qui pourrait casser l’exclusivisme économique, technologique et pourquoi pas militaire des deux rivaux. Le président de l’Institut français des relations internationales (IFRI) reprend presque dans les mêmes termes sa réflexion présentée à l’Académie du royaume, il y a un an, à l’occasion du Ramses 2019. Pour lui, la Chine et les États-Unis sont deux forces impérialistes qui cherchent à dominer le monde, chacune avec ses propres armes. Ainsi, la Chine jouerait la carte du pays en développement qui prête main forte aux autres pays aspirant à le devenir, principalement en Afrique. Mais en même temps, selon de Montbrial, les Chinois développent une politique de puissance militaire, technologique et commerciale de manière directe, tandis que les Américains interviennent de manière indirecte via leurs alliés.
Ainsi, dans un contexte géostratégique marqué par l’effritement des alliances, et à leur tête l’Alliance atlantique, et la montée de la Chine, le monde serait entré dans état de déboussolement. S’ajoute à ce tableau peu reluisant la floraison de ce que l’on appelle les démocraties ethniques, basée sur l’ethnie dominante comme c’est aujourd’hui le cas en Inde qui se présente désormais comme un État hindou démocratique. De Montbrial a cité à ce propos la situation des 170 millions de musulmans en Inde qui sont de plus en plus maltraités. Ce phénomène est en train de prendre une dimension mondiale à cause de la montée des nationalismes pour compenser les difficultés économiques. Toutefois, contrairement aux États-Unis et à la Chine, l’Inde ambitionne de devenir une puissance régionale et non planétaire. Pas pour le moment, du reste. Quid du reste du monde ou de ce que de Montbrial appelle «unités politiques», dont l’UE ? Pour lui, rien n’est plus inconfortable que d’être sous la domination chinoise ou américaine. Et le responsable de présenter l’UE comme l’ultime refuge pour une humanité en déshérence. Or, l’UE se trouve, depuis 2008, empêtrée dans une crise économique qui n’a pas manqué d’exacerber le sentiment nationaliste et le refus de l’autre.
Le débat sur l’identité en France sous la présidence de Sarkozy, l’islamophobie qui vire à la psychose et la montée politique et électorale des partis d’extrême droite font craindre le pire quant à l’avenir des relations entre l’Afrique et «son prolongement européen». Le processus de Barcelone, de son vrai nom Partenariat Euromed, lancé en 1995 à l’initiative de l’UE et de dix États du pourtour méditerranéen dont le Maroc, est aujourd’hui pratiquement mort et enterré. Plusieurs autres instruments de rapprochement politico-économique n’ont pas donné les résultats escomptés, tandis que la question migratoire remet pratiquement à l’arrière-plan toute tentative de dialogue dépassionné et serein sur la construction d’une nouvelle relation avec les partenaires africains. Mais pour de Montbrial, tout n’est pas perdu: «Il faut travailler sur la question des valeurs pour donner de la vigueur au projet européen». Et d’ajouter que si l’UE réussit à reformuler son projet, à sortir de son embourgeoisement (de Montbrial donne à ce sujet l’exemple de l’Allemagne), elle peut constituer une tierce référence.
Pourtant, sur le terrain, seule la Chine a aujourd’hui une offre pour l’Afrique, pour reprendre l’expression de Karim El Aynaoui, président du Policy Center, à travers des investissements colossaux programmés dans les infrastructures et l’aide au développement. L’aide européenne, de plus en plus parcimonieuse, est motivée par des considérations migratoires. Dans ce contexte d’incertitude, les pays africains devraient se prendre en charge à travers des blocs économiques qui commencent d’ailleurs à prendre forme. S’ériger ensemble en interlocuteur fort face aux puissances partenaires serviraient plus les intérêts de l’Afrique que s’arrimer complètement à un bloc ou à un autre.
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