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Guerre en Ukraine : « La Chine n'a fait aucun acte dans le sens d'une médiation » avec la Russie

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entretien avec Camille Sellier pour le

  JDD
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Le président chinois Xi Jinping est arrivé lundi en Russie pour un sommet avec Vladimir Poutine. Marc Julienne, responsable des activités Chine de l’Institut français des relations internationales (Ifri), analyse les enjeux de cette rencontre pour la suite de la guerre en Ukraine.

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Une première depuis quatre ans. Xi Jinping est arrivé lundi en Russie pour une visite officielle de trois jours. Lors de ce sommet, le président chinois et son homologue russe, Vladimir Poutine, doivent discuter du plan proposé le mois dernier par Pékin pour régler la guerre en Ukraine. Dans un article publié dans un quotidien chinois dimanche, Vladimir Poutine a salué «la volonté de la Chine de jouer un rôle constructif » dans le conflit. Le président russe, de plus en plus isolé par les occidentaux, estime que « les relations russochinoises ont atteint le point culminant de leur histoire ».

Marc Julienne, responsable des activités Chine de l’Institut français des relations internationales (Ifri), analyse pour le JDD les enjeux de cette rencontre, particulièrement observée sur la scène internationale. « L’objectif premier » de Xi Jinping « n’est pas d’aller résoudre la guerre en Ukraine », explique le spécialiste.

Quels sont les enjeux de la visite du président Xi Jinping à Moscou ?

Pour Vladimir Poutine, l’enjeu est de briser un certain isolement international et de montrer qu’il a des soutiens de poids. Pour Xi Jinping, c’est de réaffirmer un partenariat très étroit avec la Russie, lequel vise à dissuader les États-Unis et le bloc occidental de manière plus globale.

En quoi cette visite pourrait être importante pour la suite de la guerre en Ukraine ?

Pour le moment, l’objectif premier n’est pas d’aller résoudre la guerre en Ukraine. Après la visite, il est prévu que Xi Jinping s’entretienne avec Volodymyr Zelensky, le président ukrainien. Ce serait un geste important. Depuis le début du conflit, il n’y a eu aucun échange, ni physique ni virtuel, entre les deux chefs d’Etat, ce qui est problématique en termes de crédibilité puisque Pékin revendique la neutralité depuis le début du conflit. Mais lorsqu’on voit le nombre d’échanges avec Moscou et l’absence totale d’échange avec Kiev, c’est difficile à croire. La Chine souhaite conserver son discours officiel de neutralité.

Après une visite d’État de trois jours en grande pompe à Moscou, il était important de faire la concession d’une communication officielle avec Volodymyr Zelensky.

La Chine a-t-elle vraiment envie de jouer un rôle de médiateur dans la guerre en Ukraine ?

Pékin n’a fait aucun acte dans le sens d’une réelle médiation. La Chine a tous les leviers pour jouer ce rôle si elle le souhaite. Elle a des canaux de communication avec Moscou et Kiev. Elle dispose si besoin de leviers de pression sur les deux acteurs et particulièrement sur Moscou. Toutefois, à partir du moment où la Chine refuse de reconnaître qu’il y a eu une agression de la Russie et une violation de la charte des Nations unies, le rôle de médiateur devient difficile. Xi Jinping a publié lundi, avant de décoller pour Moscou, un article dans lequel il réaffirme son attachement à la Charte de l’ONU et au principe de souveraineté des États. Cela rend sa position encore plus paradoxale. Et il sera compliqué, pour Volodymyr Zelensky, de confier une médiation à un acteur qui ne reconnaît pas que l’agression russe.

Fin février, Pékin a publié un document en 12 points appelant notamment Moscou et Kiev à « stopper les hostilités » et à tenir des pourparlers de paix.

Cette position chinoise n’était qu’un rappel de positions de politique étrangère générale de la Chine mais ce n’était pas des propositions concrètes et un chemin vers la paix.

C’est une chose de se revendiquer neutre, d’appeler au cessez-le-feu et aux pourparlers de paix mais c’en est une autre de créer concrètement les conditions pour les favoriser.

La Chine peut-elle réellement jouer un rôle d’influence sur le Kremlin en facilitant un rapprochement russo-ukrainien ?

Je ne pense pas que la Chine souhaite jouer ce rôle-là, puisque ce n’est pas sa guerre. Elle n’a pas d’intérêts majeurs en Ukraine. Je ne pense pas non plus que Vladimir Poutine écouterait la Chine. C’est la force du partenariat sino-russe : chacun respecte les intérêts vitaux de l’autre, qui, pour le moment, ne se rencontrent pas. Vladimir Poutine se montre d’ailleurs solidaire des revendications chinoises en mer de Chine méridionale, y compris à l’égard de Taïwan.

Dans les prochaines semaines, la Chine pourrait-elle décider de livrer des armes à la Russie ?

Elle ne l’a pas fait jusqu’à maintenant même si elle marche sur une ligne de crête sur le sujet. On sait que des entreprises chinoises ont livré des composants de drones, voire des drones civils entiers. Si soutien militaire il y a, il est aujourd’hui dans des proportions suffisamment marginales pour que ça ne renverse pas le rapport de force en Ukraine. Il serait surprenant que la Chine aille plus loin. Un soutien militaire avéré et en matériels lourds serait une remise en cause totale du discours diplomatique chinois.

La Russie et la Chine sont « des partenaires fiables » et des « bons voisins », a affirmé Xi Jinping à son arrivée à Moscou. Les deux puissances ont-elles une relation privilégiée ?

Les deux États revendiquent un partenariat extrêmement proche, voire une amitié sans limite. Il y a un objectif dissuasif dans ce vocabulaire, de montrer un partenariat extrêmement soudé qui vient s’opposer aux démocraties libérales occidentales. En réalité, il ne faut pas être totalement dupe de cet affichage : la Chine et la Russie mettent sous le tapis de nombreuses divergences qui existent. Entre Pékin et Moscou, il y a une longue histoire d’opposition, de rivalité et même de guerre, en particulier dans les années 1960. Lors des transferts d’armements de la Russie vers la Chine, il y a eu beaucoup d’espionnage industriel. Que ce soit en Asie centrale, en Afrique ou dans l’océan Arctique, les deux États ont des intérêts propres qui ne sont pas toujours convergents. Mais ils se retrouvent dans leur intérêt commun à lutter contre la domination américaine et les valeurs démocratiques libérales sur lesquelles repose le système international. C’est quelque chose que la Chine et la Russie essaient de remettre en cause aujourd’hui.

 

>> Retrouver l'entretien sur le site du JDD

 

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Marc JULIENNE

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Directeur du Centre Asie de l'Ifri