Guerre Israël-Hamas : « L’influence d’Israël reste extrêmement faible en Afrique »
La guerre entre le Hamas et Israël a suscité des réactions contrastées en Afrique. Alors que le gouvernement israélien s’efforce depuis plusieurs années de raffermir ses liens avec le continent, une poignée de pays seulement lui a ouvertement manifesté son soutien.
Selon Benjamin Augé, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri) et auteur d’un rapport paru en 2020 sur les relations Israël-Afrique, la neutralité affichée par de nombreux Etats africains fait écho au refus d’une partie du continent de se positionner sur la guerre en Ukraine.
L’Afrique réagit en ordre dispersé face à la guerre entre le Hamas et Israël. Pourquoi ce conflit divise-t-il autant le continent ?
Benjamin Augé Les clivages que l’on observe sont pour la plupart assez anciens. Il y a d’abord un certain nombre de pays qui ne reconnaissent pas Israël : Algérie, Tunisie, Mali, Niger, Mauritanie, Djibouti. De façon classique, ceux-ci ont exprimé leur soutien aux Palestiniens. D’autres pays reconnaissent Israël mais ont une vision double de leur relation. Ils entretiennent des liens diplomatiques et commerciaux avec les Israéliens tout en considérant que leur traitement de la question palestinienne est immoral. C’est par exemple le cas du Nigeria et plus encore de l’Afrique du Sud : malgré des relations économiques assez fortes avec Israël, le Congrès national africain (ANC, au pouvoir) demeure inflexible vis-à-vis du conflit israélo-palestinien. Et cette fois encore, l’Afrique du Sud s’est rangée du côté des Palestiniens.
Enfin, le Cameroun, le Kenya, le Ghana, le Togo, la République démocratique du Congo (RDC) et la Zambie, qui ont clairement pris position pour Israël, sont ses alliés traditionnels. Ils ont avec ce pays des liens étroits et anciens et la plupart d’entre eux avaient d’ailleurs continué à cultiver des relations, même après les deux grands moments de rupture qu’ont été la guerre des Six-Jours en 1967 et la guerre de Kippour en 1973. Mais, à l’échelle du continent, ce ne sont pas des pays qui ont un rôle géopolitique de premier ordre, comme on peut le constater avec les prises de position au sein de l’Union africaine (UA).
L’UA a en effet refusé de condamner formellement l’agression du Hamas et lui a trouvé des circonstances atténuantes en insistant sur la « dénégation des droits fondamentaux du peuple palestinien »…
Oui car lorsque des poids lourds continentaux s’expriment d’une certaine façon, il est difficile d’aller dans l’autre sens. Rappelons qu’Israël s’est vu accorder en 2021 le statut de membre observateur à l’UA. Mais cela reste jusqu’à présent purement théorique car l’Algérie, l’Afrique du Sud et le Nigeria ne veulent pas en entendre parler. A contrario, l’autorité palestinienne qui est également membre observateur, s’exprime régulièrement à la tribune de l’organisation.
Seuls six Etats africains ont manifesté leur soutien à Israël et même des pays jugés proches, comme le Rwanda, ne se sont pas prononcés. Pourquoi cette solidarité minimum ?
Le Rwanda a effectivement une relation forte avec Israël, particulièrement depuis le génocide de 1994 et l’arrivée au pouvoir de Paul Kagame. Mais pour ce pays comme pour d’autres se pose une question, qui rappelle les débats suscités par la guerre en Ukraine : quel intérêt y a-t-il à prendre position pour un côté ou l’autre ? Ces Etats considèrent qu’ils n’ont rien à gagner et que des coups à prendre. Ils ne veulent pas risquer de se mettre à dos certains gros partenaires africains ultra polarisés, et le payer éventuellement sur d’autres dossiers continentaux.
Que faut-il en conclure de l’influence politique d’Israël en Afrique, alors que l’Etat hébreu a semblé vouloir réinvestir le continent ces dernières années ?
La stratégie de Benjamin Nétanyahou vis-à-vis de l’Afrique s’est résumée à une seule chose : la reprise des relations diplomatiques avec les pays africains qui ne reconnaissaient pas Israël. Le problème, c’est qu’aucune vraie politique n’a été associée à cette ambition. Il n’y a pas eu plus d’investissements et l’appareil diplomatique n’a pas été musclé.
Israël n’a que douze ambassades en Afrique et seulement deux ont été installées sous Nétanyahou : au Ghana en 2011 et au Rwanda en 2019, deux pays qui étaient déjà proches d’Israël. Au ministère des affaires étrangères, les moyens alloués sont faibles et très peu de diplomates cultivent une vision de long terme sur l’Afrique, contrairement aux générations précédentes, notamment sous Golda Meir, avant la guerre du Kippour. Résultat, l’influence d’Israël est restée extrêmement faible sur le continent malgré son empreinte sur quelques sujets comme la sécurité.
Certes, il y a des investisseurs israéliens influents, notamment dans les mines, dans des pays comme l’Angola ou la RDC. Mais leur lien avec Israël est ténu. Ils travaillent d’abord pour eux-mêmes et n’aident pas forcément l’écosystème israélien à grandir, car ils ne veulent pas de nouveaux concurrents.
Israël n’a pourtant jamais compté autant de partenaires en Afrique avec 46 Etats qui le reconnaissent aujourd’hui officiellement. Quel était l’intérêt de ces rapprochements côté africain ?
Parfois il s’agit d’un billard à trois bandes : en se rapprochant d’Israël, on veut se rapprocher des Etats-Unis. Ainsi, c’est sous l’influence de l’ancien président américain Donald Trump que le Soudan a reconnu Israël en 2020. L’enjeu est d’obtenir des avantages de la part des Occidentaux, et plus particulièrement des Américains, en acceptant de faire des efforts vis-à-vis d’Israël.
Pour certains Etats, cette densification des relations est un choix délibéré. Il y a évidemment le cas du Maroc, qui reste atypique compte tenu de la très grande communauté marocaine vivant en Israël : les liens étaient déjà extrêmement puissants et ont fini par être officialisés en 2020 dans le cadre des accords d’Abraham.
Un autre exemple est le Tchad, qui a ouvert une ambassade en février à Tel Aviv et souhaite acquérir du matériel militaire auprès des Israéliens. Dans ce cas, la relation n’est envisagée que sous le prisme sécuritaire, un domaine où l’expertise d’Israël est reconnue. Le régime compte sur Israël pour sécuriser son pouvoir – un peu comme au Cameroun, où Paul Biya a depuis longtemps fait confiance à des retraités de Tsahal pour encadrer le Bataillon d’intervention rapide (BIR), une unité d’élite de l’armée créée en 1999.
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