Impossible équilibre mondial
Ce soir comme chaque semaine deux essais sous les feux de la critique : "L’affolement du monde", de Thomas Gomart, chez Tallandier, et " La guerre qui ne peut avoir lieu" de Jean-Pierre Dupuy publié par Desclée de Brouwer. Deux livres qui se penchent sur l’impossible équilibre mondial.
Dans L’affolement du monde, publié chez Tallandier, le directeur de l’Institut français de relation internationale (IFRI) Thomas Gomart s’interroge sur ce qui régule encore la marche de la planète. L’impression de chaos qui domine aujourd’hui au gré des accords rompus, des alliances fragilisées, d’un affaiblissement des démocraties libérales et de tout un ensemble de risques et de menaces… l’amène à décortiquer les 10 enjeux géopolitiques pour aujourd’hui et demain. Comme une réponse au pessimisme ambiant… pessimisme qui est en revanche bien présent dans le second essai dont il sera question ce soir, La guerre qui ne peut avoir lieu de Jean-Pierre Dupuy publié chez Desclée de Brouwer. Contrairement à ce que le titre laisse penser, le philosophe père du catastrophisme éclairé mène ici une réflexion trop rare sur la possibilité d’une guerre nucléaire.
Thomas Gomart - L’Affolement du monde : 10 enjeux géopolitiques
Je vous propose de commencer par le livre de Thomas Gomart, L’Affolement du monde : 10 enjeux géopolitiques aux éditions Tallandier. Thomas Gomart est historien et directeur de l’Institut français des relations internationales, l’Ifri, depuis 2015. C’est un spécialiste de la Russie et plus largement de l’espace post-soviétique, des questions de sécurité, énergétiques et numériques… bref de tout ce qui occupe aujourd’hui la pensée géopolitique.
Le livre part d’un constat, assez largement partagé : plus rien ne semble réguler la bonne marche de la planète. Rupture d’accords, alliances fragilisées, affaiblissement des démocraties libérales, basculement géoéconomique vers l’Asie, menaces nationalistes, risques écologiques, politique du tweet… le monde serait-il devenu incontrôlable ?
Thomas Gomart propose dans cet essai de porter un regard d’historien et de spécialiste des relations internationales sur les 10 situations qui transforment le rapport de force international. À la fois sur les enjeux politiques qui touchent les États – montée en puissance de la Chine, unilatéralisme américain, fragmentation de l’Europe retour de la Russie – mais aussi les grandes questions transversales que sont l’énergie, le climat, les transformations de la guerre, le cyber et l’espace, la pression démographique et migratoire…
Au centre de cette réflexion, de ces études de cas, une interrogation : est-on au retour des grandes peurs, de la panique et du chaos ou au contraire assiste-t-on à la première étape d’un mouvement de reconstruction de l’espace mondiale vers plus de coopération ?
C'est un livre qui nous aide, avec pas mal de modestie et de rigueur à cartographier non seulement nos peurs mais aussi les enjeux contemporains de la géopolitique.(...) Thomas Gomart arrive à un moment où on a toutes et tous constatés que nous ne sommes plus seuls au monde (...) que le face à face Occident et les autres est terminé mais que non seulement nous ne sommes plus seuls au monde mais que l'Occident est un acteur parmi d'autres et peut-être même un acteur mineur. (Jean Birbaum)
Ce qui est important lorsqu'il parle de la France c'est de nous dégager de la seule idée que le problème numéro 1 de la France dans les relations internationales serait le terrorisme et notamment le terrorisme djihadiste. Il le dit très clairement à la fin, La France ne doit pas subordonner sa politique internationale à la lutte contre le djihadisme car les pressions géoéconomiques sont beaucoup plus importantes à long terme. (Eugénie Bastié)
Jean-Pierre Dupuy - La guerre qui ne peut avoir lieu
Deuxième temps de l’émission, je vous propose de nous pencher maintenant sur le livre de Jean-Pierre Dupuy, La guerre qui ne peut avoir lieu publié chez Desclée de Brouwer. L’auteur est philosophe des sciences, polytechnicien de formation, il est aujourd’hui professeur à l’université américaine de Stanford. Connu notamment pour avoir inventé et théorisé dans un livre de 2004 le concept de « catastrophisme éclairé » : Jean-Pierre Dupuy appelait alors à une réflexion sur le destin apocalyptique de l’humanité… puisqu’il est désormais acquis que celle-ci est capable de s’anéantir soit en clin d’œil par l’arme nucléaire, soit à petit feu par le désastre écologique.
Cette idée selon laquelle l’arme nucléaire inscrit définitivement l’apocalypse dans notre avenir est également au cœur de ce dernier essai, qui reprend les réflexions du philosophe sur notre incapacité totale à en prendre conscience. La preuve selon lui, l’absence criante de débat et même de réflexion sur la stratégie de dissuasion nucléaire, qui est censée participer à la stabilité du monde, mais dont les conditions ont profondément changé depuis la fin de la guerre froide.
Cette dissuasion prend acte, en principe, de la puissance démesurée de l’arme atomique pour en faire une arme de non-emploi. C’est parce que la montée aux extrêmes serait trop couteuse – elle entrainerait l’annihilation de l’humanité – que les protagonistes rationnels cherchent à éviter tout ce qui pourrait déclencher un conflit. C’est en cela qu’on est face à une guerre qui n’a pas lieu.
Mais que vaut ce raisonnement à l’ère de Trump et de Kim Jung Hun ? Que reste-t-il en matière d’acteurs rationnels ? Il faut revenir au principe même de la question nucléaire pour y répondre, ce à quoi s’emploie Jean-Pierre Dupuy dans un exercice de logique et de définition des concepts.
Avec Jean-Pierre Dupuy il y a un va et vient très beau et mélancolique dans le temps (...) Il reprend une parabole de Günther Anders (philosophe allemand, compagnon d'Hannah Arendt) qui reprend l'histoire du déluge et de Noé et qui lui fait dire : "Quand le déluge aura emporté tout ce qui est et tout ce qui aura été, il sera trop tard pour se souvenir car il n'y aura plus personne. Alors il n'y aura plus de différence entre les morts et ceux qui les pleurent. Si je suis venu devant vous c'est pour inverser le temps. C'est pour pleurer aujourd'hui les morts de demain. (...) Jean-Pierre Dupuy dans son livre montre que pour sauver l'avenir il faut être mu par la peur de la catastrophe qui a déjà eu lieu. (Jean Birbaum)
Ce qui frappe dans ce livre de Jean-Pierre Dupuy c'est le sentiment d 'une impasse totale. Il décrit minutieusement la formation de cette impasse, il ne laisse quasiment aucune porte de sortie, même la dénucléarisation du monde n'apparaît pas comme une solution car comme il le dit : même si on arrive à démonter tout l'arsenal nucléaire existant nous aurons toujours la possibilité technique de faire resurgir cet arsenal, de réinventer la bombe nucléaire. (Eugénie Bastié)
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Journaliste au Figaro, rédactrice en chef politique de la revue d'écologie intégrale "Limite"
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Rédacteur en chef du Monde des livres
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