Incursion ukrainienne en Russie : "Non, la menace nucléaire n'est pas devenue une menace fantôme"
Alors que le conflit entre la Russie et l'Ukraine fait rage depuis près de deux ans et demi et l'invasion de la seconde par la première, les forces ukrainiennes mènent depuis le 6 août, une incursion d'envergure dans la région russe de Koursk. Si Vladimir Poutine a plusieurs fois agité le spectre de la bombe atomique pour faire pression sur les puissances occidentales, il a fort heureusement choisi de ne pas l'employer alors même que la Russie est directement attaquée sur son territoire. Doit-on comprendre que l'emploi de l'arme nucléaire est désormais inenvisageable ?
La Russie fait face à la première incursion sur son sol depuis 1945 et n'avait pas évacué autant de civils depuis la deuxième guerre de Tchétchénie. Kiev a revendiqué, lundi 12 août, contrôler 1 000 km² de territoire dans le sud de la Russie, dans la région de Koursk, dont le gouverneur affirme que douze civils ont été tués et plus de 120 blessés. De quoi craindre le retour de la menace nucléaire... Ou celle-ci est-elle désormais écartée des guerres contemporaines ? Éléments de réponse avec Héloïse Fayet, chercheuse au centre des études de sécurité de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et spécialiste de la dissuasion nucléaire.
Depuis une semaine, l’armée ukrainienne mène une incursion dans la région russe de Koursk. Pourquoi Poutine ne brandit pas la menace nucléaire face à cette attaque ?
Depuis le début de la guerre en Ukraine, Vladimir Poutine a plusieurs fois brandi la menace nucléaire. Il l’a évoquée lui-même dans plusieurs discours, a mis en valeur certaines activités nucléaires russes ou encore, a laissé les commentateurs à la télé en parler. En agissant ainsi, il voulait limiter le soutien occidental à Kiev. Le souci pour lui est que cela n’a pas été efficace car la majorité des pays européens n'ont jamais cessé de soutenir largement l’Ukraine. Ce qui est sûr, c’est qu’il s’est peut-être un peu trop servi de cette pression et que cela a forcément diminué la portée de son message. Paradoxalement, il a agité cette menace lorsque les enjeux n’étaient pas spécialement importants alors que là, avec l’incursion ukrainienne sur le territoire, les événements prennent une autre tournures et sont majeurs. En fait, je pense qu’il y a une dimension de responsabilité chez Vladimir Poutine. Il sait qu’il ne peut pas agiter la menace nucléaire maintenant, dans un contexte d’escalade comme celui-ci.
La bombe sert à protéger les intérêts vitaux d’une nation. Or, en menant cette incursion, la Russie ne voit-elle pas les siens attaqués ?
Non, l’Ukraine ne touche pas aux intérêts vitaux de la Russie en menant cette incursion. N’oublions pas que le territoire russe est immense et que celui investi par les forces ukrainiennes en plus d’être minuscule, n’est pas un centre névralgique important pour la sécurité du pays. En outre, on ne sait pas combien de temps les Ukrainiens vont pouvoir le tenir. Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’on est dans un contexte de guerre durable entre les deux pays. Si la Russie estimait que ses intérêts vitaux étaient atteints, des signaux d'alarme seraient tirés. Il existe encore beaucoup de mécanismes de communication entre la Russie et les autres puissances. Par exemple, les États-Unis sauraient signaler aux Ukrainiens
qu’ils sont allés trop loin. Et là, on observe que dans le cas de l’incursion dans la région de Koursk, il n’y a pas eu de réaction critique de la part des Américains et les Allemands ont même autorisé les Ukrainiens à utiliser les chars qu’ils leur ont livré en Russie. Il faut avoir en tête que la doctrine nucléaire a été développée pour éviter une invasion de grande ampleur. En ce qui concerne la France, il s'agit de se protéger d’un scénario comme celui de juin 1940 où le gouvernement s’était rendu face à l’envahisseur.
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