La crise en Nouvelle-Calédonie percute la stratégie indo-pacifique de la France
Lors du Shangri-La Dialogue, à Singapour, le ministre des armées, Sébastien Lecornu, a dénoncé les « manipulations » étrangères dans les violences qui agitent l’île française depuis la mi-mai. Les pays du Pacifique proposent leur médiation.
La crise à laquelle est confrontée la France en Nouvelle-Calédonie était loin d’être la principale préoccupation du Shangri-La Dialogue, cet influent forum organisé chaque année à Singapour, qui a réuni, du 31 mai au 2 juin, les principaux acteurs militaires et sécuritaires de l’Indo-Pacifique. Les tensions autour de la Corée du Nord et l’avenir de Taïwan demeurent les principaux points d’attention de la plupart des pays de la région, même si le président Volodymyr Zelensky avait fait le déplacement pour sensibiliser les participants à la cause ukrainienne. Les violences qui agitent l’île française depuis la mi-mai et percutent de plein fouet la stratégie indo-pacifique de la France, n’en sont pas moins suivies attentivement par de nombreux acteurs du Pacifique Sud, ce qui a obligé, le 1er juin, le ministre des armées, Sébastien Lecornu, à réagir.
Invité du Shangri-La Dialogue avec toute une délégation de militaires français, dont le numéro deux de l’état-major des armées, le général Pierre Vandier, le ministre a été contraint de s’exprimer sur la situation à Nouméa, samedi, lors d’une session opportunément intitulée « Améliorer la gestion de crise dans un contexte de compétition accrue ».
Bien qu’il se soit gardé de prononcer le mot « Nouvelle-Calédonie » durant son allocution, M. Lecornu a été rattrapé par une question du public, principalement composé d’officiels et de chercheurs spécialisés.
« Il y a une partie de la jeune génération [de Nouvelle-Calédonie] qui est aujourd’hui manipulée dans l’ombre par d’autres pays qui forcent les violences pour tenter d’obtenir l’indépendance », a alors lancé le ministre français, sans toutefois désigner précisément un pays, comme avait pu le faire le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, le 16 mai, en pointant du doigt le rôle de l’Azerbaïdjan. « Cela est assez spectaculaire et cela doit être condamné. Vous devriez tous condamner ce qu’il se passe actuellement, car cela ne fait pas partie de notre système de valeur, et je ne connais pas un seul pays qui ne soit pas confronté à ce type de problématiques politiques et sociales », a-t-il ajouté.
Risques de débordement à l’international
Des propos qui illustrent les préoccupations des services de renseignement français quant aux interférences de plus en plus documentées de l’Azerbaïdjan en Nouvelle-Calédonie. Une preuve aussi des inquiétudes de Paris face aux risques de débordement à l’international de la situation néo-calédonienne alors que le dossier est toujours officiellement considéré comme relevant d’enjeux de politique intérieure.
[...]
Même si les autorités françaises restent prudentes sur le rôle à accorder à l’Azerbaïdjan dans les violences en Nouvelle-Calédonie, le fait qu’il puisse souffler sur les braises inquiète.
« Il commence à y avoir une peur de la contagion de la part de pays voisins qui connaissent déjà des tensions sociétales », pointe Céline Pajon, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (IFRI).
[...]
La publication d’une nouvelle feuille de route reportée sine die
Pour l’armée française aussi, le Nouvelle-Calédonie est une pièce maîtresse.
« C’est un point d’appui essentiel pour la France dans la région pour se ravitailler et faire de la maintenance. Donc, demain, si l’île ne devait plus être un territoire sur lequel elle peut compter, ce serait évidemment un vrai changement sur le plan stratégique », décrypte Jérémy Bachelier, également chercheur à l’IFRI.
« Il en va aussi de notre crédibilité auprès des autres acteurs de la zone, partenaires comme compétiteurs, chez qui la crise a une vraie caisse de résonance, il ne faut pas la sous-estimer. Une perte d’accès à la Nouvelle-Calédonie pourrait avoir à terme de multiples conséquences sur notre capacité à opérer dans le Pacifique insulaire et plus largement en Asie-Pacifique », ajoute M. Bachelier.
[...]
La France travaille depuis plusieurs années au développement d’autres points d’appui durables, entre autres au Japon ou en Inde. Même Singapour, partenaire majeur pour la France en Asie du Sud-Est, tout particulièrement sur le segment de l’échange d’informations dans le domaine maritime, n’offre pas de garanties solides d’accès si les tensions venaient à se durcir réellement entre Washington et Pékin dans cette région, en raison notamment du nombre de places à quai.
Quant à l’Australie, depuis l’affaire Aukus – la constitution d’une alliance avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni pour la production de sous-marins à propulsion nucléaire – en 2021, les liens sont distendus.
« L’Australie nous permet de réaliser des escales de soutien pour le ravitaillement des terres australes et antarctiques françaises, mais l’Australie ne peut évidemment pas à ce jour être considérée comme un point d’appui pérenne permettant de suppléer à la base navale de Nouméa », renchérit M. Bachelier.
[...]
>>> Lire l'article dans son intégralité sur le site de Le Monde
Média
Partager