« La France doit se montrer un partenaire fiable , à la hauteur des moyens qu’elle s’est engagée à fournir à l’Ukraine »
Alors que l’incertitude politique semble avoir brutalement effacé la France de la scène internationale, il serait bon que les différentes forces prétendant aujourd’hui à son gouvernement démontrent leur responsabilité sur le soutien à l’Ukraine, préconise, dans une tribune au « Monde », Elie Tenenbaum, directeur du Centre des études de sécurité de l'Ifri.
À défaut de lui offrir une perspective d’adhésion, le sommet de l’OTAN qui s’est tenu du 9 au 11 juillet à Washington s’est attaché à renforcer les instruments d’assistance militaire à l’Ukraine pour lui permettre de résister à la guerre d’agression à grande échelle que lui impose la Russie depuis le 24 février 2022. Pourtant l’enveloppe de 40 milliards d’euros d’aide multidimensionnelle à l’Ukraine annoncée au sommet pour l’année à venir est inférieure à la moyenne des deux années précédentes.
D’ores et déjà la trajectoire politique américaine laisse présager un soutien financier de Washington inférieur à ce qu’il a été par le passé. L’Allemagne, premier donateur européen, vient pour sa part d’annoncer qu’elle allait diviser par deux en 2025 son volume d’aide militaire à Kiev, de 8 à 4 milliards d’euros. Alors que la France peine à se choisir un nouveau gouvernement, il est plus que jamais nécessaire qu’elle se montre un partenaire fiable, à la hauteur des moyens qu’elle s’est engagée à fournir. Il y va de sa crédibilité politique, mais aussi de l’avenir de la sécurité du continent européen.
Après deux ans et demi de guerre, l’Ukraine entre dans un hiver stratégique. L’échec, à l’automne 2023, de son offensive destinée à reconquérir une partie des territoires occupés par la Russie a été suivi d’une crise des effectifs et des munitions. Si la loi sur la mobilisation, qui abaisse l’âge de la conscription, et le déblocage de l’aide américaine en mars ont permis d’y remédier en partie et de stabiliser la situation, la dynamique reste précaire.
Pour la première fois depuis le début de la guerre, l’aviation russe réussit à imposer une forme de supériorité aérienne. L’Ukraine, qui disposait initialement de vastes stocks de missile sol-air, arrive aujourd’hui à court d’intercepteurs, un déficit qu’elle paye aujourd’hui chèrement.
Fenêtre hivernale
Sur les arrières, le territoire ukrainien est la cible de salves de missiles de croisière et balistiques qui ont méthodiquement détruit les centrales thermiques et hydroélectriques du pays. Certains envisagent d’ores et déjà une nouvelle vague de plusieurs millions de réfugiés arriver en Europe, fuyant le froid et les bombes.
Dans ce contexte, la possible élection en novembre de Donald Trump et de son colistier J.D. Vance, notoirement hostile à l’aide financière américaine à l’Ukraine, vient encore assombrir l’horizon. Même en cas de victoire de Kamala Harris, une volonté de réduire l’implication américaine face à un Congrès divisé est à prévoir. Au Kremlin, Vladimir Poutine mise évidemment sur cette tendance pour en tirer profit. Il dispose de stocks militaires et d’une capacité de production suffisants pour dominer par la puissance de feu. La fenêtre hivernale qui se dessine est pour lui une occasion unique de maximiser les gains de sa guerre d’agression.
Après s’être longtemps réfugiée derrière son image de « puissance d’équilibre » privilégiant le dialogue avec la Russie, la France s’est finalement ralliée sans réserve à la défense de l’Ukraine. L’accord bilatéral signé à Paris le 16 février par Volodymyr Zelensky et Emmanuel Macron entre pleinement dans le nouveau « compact » annoncé au sommet de l’OTAN, censé démontrer l’engagement dans la durée des Occidentaux et conjurer le spectre d’une paix imposée. Dans ce texte, la France s’engageait, pour l’année 2024, à fournir à Kiev « jusqu’à 3 milliards d’euros » d’aide militaire.
Rôle à jouer
Six mois plus tard, très peu d’informations ont filtré quant à la dépense effective de cette somme. A Bercy, d’aucuns estiment ne pas être tenus par un tel engagement, ou préfèrent renvoyer au ministère des armées la responsabilité du surcoût. La défense dispose bien d’un fonds spécial pour l’aide militaire à l’Ukraine, mais doté de seulement 400 millions d’euros, dix fois moins que ce qui a été mis en place par Londres, vingt fois moins que Berlin.
A considérer les besoins à venir, notamment en matière de défense sol-air, et l’appel à mettre en place une planification pluriannuelle dans le cadre européen et transatlantique, c’est un fonds exceptionnel de 30 milliards d’euros échelonné sur dix ans que Paris devrait mettre en place pour financer son aide militaire à l’Ukraine.
Seul un tel mécanisme offrirait la visibilité nécessaire à l’industrie pour transformer son appareil productif vers « l’économie de guerre » proclamée depuis 2022. Diverses options existent pour le financement : économies ou recettes supplémentaires, emprunts directs sur les marchés ou à travers un système d’« Eurobonds » mutualisés, ou encore par le réabondement de la facilité européenne pour la paix qui a déjà permis de soutenir l’Ukraine à hauteur de plus de 11 milliards d’euros.
Au-delà du financement, la France a un rôle particulier à jouer, au côté des autres Européens, dans la perspective d’éventuelles négociations de ce qui pourrait être un jour un cessez-le-feu. L’engagement sur terre, sur mer et dans les airs de moyens permettant le cas échéant de garantir le respect de tout nouvel accord sera nécessaire afin d’éviter qu’il ne subisse le même sort que les accords de Minsk ou le mémorandum du Budapest. Seuls quelques pays en Europe ont les capacités pour y contribuer : la France en fait partie.
Alors que l’incertitude politique actuelle semble avoir brutalement effacé la France de la scène internationale, il serait bon que les différentes forces prétendant aujourd’hui à son gouvernement démontrent leur responsabilité sur ce sujet-clé pour la crédibilité du pays en Europe. Puissance nucléaire, la France peut contribuer à ce que la sécurité de l’Europe ne lui soit pas imposée de l’extérieur.
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