La guerre en Ukraine interroge les modes opératoires des forces spéciales françaises
Alors que la guerre en Ukraine interroge les doctrines de toutes les armées du monde, le commandement français des opérations spéciales (COS), qui a fêté ses trente ans, vendredi 24 juin, n’échappe pas à la règle.
Même si, à ce stade, aucun élément public ne permet d’étayer un quelconque engagement des forces spéciales françaises (FS) sur le territoire ukrainien, le conflit et ses répercussions internationales n’en viennent pas moins bousculer les modes opératoires très spécifiques des FS . « On est en train de reprendre toute la doctrine des zones grises », confiait en mai, lors d’un point de presse, le général Bertrand Toujouse, à la tête du COS depuis septembre 2021.
Depuis sa création au lendemain de la guerre en Irak, en 1992, en même temps que la direction du renseignement militaire, le COS s’est, en effet, spécialisé dans la lutte contre le terrorisme, au point d’avoir acquis une compétence reconnue en matière de libération d’otages ou de « ciblage » des chefs djihadistes. Mais avec l’évolution de la violence terroriste en Afrique, de plus en plus « insurrectionnelle », et le retour de la guerre en Europe, « le COS entre dans sa quatrième vie », estime le général Toujouse.
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« Compétition-contestation-affrontement »
Concrètement, cela revient pour le COS à être capable de répondre à un éventuel affrontement larvé avec d’autres Etats, mais sous le seuil de la violence armée. Situation qui pourrait l’amener à développer des missions sur d’autres théâtres que le Sahel ou le Levant, ses principales zones d’intervention actuelles – et donc, potentiellement, en Europe.
Dans ce cas, les FS pourraient au passage être amenées à développer des modes d’action auxquels elles avaient moins recours jusqu’à présent, comme la reconnaissance discrète, le sabotage ou l’affichage plus ou moins assumé de partenariat avec des groupes armés.
- Alors que le chef d’état-major des armées (CEMA), le général Thierry Burkhard a théorisé l’évolution géopolitique actuelle dans un triptyque « compétition-contestation-affrontement », « les forces spéciales ont les moyens de se positionner dans l’ensemble de ce spectre », considère le colonel Laurent Bansept, détaché aujourd’hui sur un poste de recherche à l’Institut français des relations internationales (IFRI), après avoir effectué l’essentiel de sa carrière dans les opérations spéciales.
- Composé d’environ 4 200 personnes, le COS – dont les effectifs ont grimpé de 25 % entre 2014 et 2019 – aurait désormais atteint, selon lui, une taille suffisante pour gérer à la fois le théâtre sahélien et européen. L’important serait plutôt de donner des priorités aux « opérateurs », comme on appelle les FS au sein du COS.
Recrutement de nouveaux profils
« Nous sommes des défricheurs, on doit nous employer pour ouvrir un domaine », pousse, en ce sens, le général Toujouse. Pour assurer un rôle dans la phase de compétition entre puissances, qui se développe particulièrement en Afrique, les FS font toutefois face à des limites capacitaires, notamment en termes d’avions, d’hélicoptères ou de systèmes de transmission.
- « Pour jouer la compétition, il faut être capable d’avoir les moyens de tenir la distance et de prendre l’ascendant », poursuit le colonel Bansept.
Pour les zones où le seuil de la « contestation » est déjà atteint, l’époque actuelle aurait l’avantage de limiter la nécessité de discrétion des FS. « Il faut assumer la contestation », affirmait le général Toujouse, lors d’une intervention à l’IFRI, fin avril, en faisant référence au fait que les FS ne mènent pas d’actions clandestines en tant que telles, réservées en principe au service action (SA) de la direction générale de la sécurité extérieure. Dans ce contexte, l’emploi de la « ruse », en partie régie par le droit de la guerre et dans lequel s’inscrivent les FS, apparaît comme un outil à réexplorer, aux yeux des spécialistes de la guerre hybride.
Reste le cas du conflit ouvert et donc de l’affrontement potentiel.
- « De manière générale, les forces spéciales sont là dans un champ qu’elles maîtrisent très bien. Le climat de guerre froide actuel amène toutefois à se poser la question des nouveaux risques encourus et de la légitimité de l’engagement », analyse le colonel Bansept.
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