La mer Rouge théatre des vulnérabilités européennes
Souvenons-nous que Masha Amini est morte en septembre 2022 à l’âge de 22 ans. Sa mort a suscité une vague de protestations contre le régime des mollahs qui, dix-huit mois plus tard, tient toujours. Sur le plan intérieur, il a vigoureusement réprimé les manifestants.
Sur le plan extérieur, il a incontestablement renforcé ses positions. C’est pour l’heure le principal bénéficiaire des attaques du 7 octobre 2023 contre Israël. La République islamique d’Iran soutient le terrorisme militarisé du Hamas à Gaza et celui du Hezbollah au Liban. En devenant le héraut de la cause palestinienne, Téhéran place les monarchies du Golfe et, en particulier, l’Arabie saoudite, dans une position délicate, dans la mesure où elles ne peuvent qu’interrompre leurs efforts de normalisation avec Israël. Depuis des années, les gardiens de la révolution s’ingénient à contourner les sanctions occidentales en vue d’accélérer le programme nucléaire de leur pays, en contradiction avec ses engagements internationaux. Cependant ils ont jusqu’à présent évité une confrontation directe avec les États-Unis ou Israël qui risquerait d’anéantir des années d’investissements militaires. Leurs milices en Syrie et en Irak attaquent régulièrement les forces américaines encore présentes pour prévenir toute résurgence de Daech.
C’est en réalité par l’intermédiaire des houthis que l’Iran exprime le mieux son pouvoir de nuisance global. Il ne faut pourtant pas croire que les houthis seraient de simples marionnettes de l’Iran. Chiites zaydites, ils veillent à leur indépendance, même si leurs intérêts sont très clairement alignés sur ceux de l’Iran qui leur apporte un soutien substantiel avec lequel ils ont su mettre en échec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Ayant causé la mort de plus de 20 000 civils, la guerre civile yéménite a façonné les houthis, qui ont su développer des drones et des moyens navals pour mener des opérations régulières contre les installations pétrolières de leurs ennemis. En décembre 2021, Riyad reconnaissait que les houthis avaient envoyé 430 missiles balistiques et 851 drones sur le royaume. Ce chiffre ne cesse d’augmenter depuis lors, montrant les capacités opérationnelles acquises au fil des ans.
Le 8 octobre 2023, les États-Unis décident de déployer un groupe aéronaval en Méditerranée orientale pour dissuader l’Iran d’intervenir directement. Les attaques des houthis contre les navires commerciaux en mer Rouge commencent le même jour, puis se multiplient. Le 19 décembre, Washington annonce la formation d’une coalition internationale, qui peine néanmoins à se mettre en œuvre, car la plupart des pays craignent en y participant d’apparaître comme des soutiens d’Israël. En effet, les houthis justifient leurs agressions par le soutien à la population de Gaza bombardée par Tsahal. Le 10 janvier 2024, la résolution 2722 du Conseil de sécurité exige l’arrêt des attaques menées par les houthis. La Russie, la Chine, le Mozambique et l’Algérie s’abstiennent. Seuls les États-Unis et le Royaume-Uni réalisent ensuite des frappes de représailles sur le territoire du Yémen.
En quelques semaines, une nouvelle configuration est née, qui présente deux caractéristiques principales. La première est d’ordre géostratégique dans la mesure où la mer Rouge constitue le point d’entrée des navires empruntant le canal de Suez, par lequel transite 12 % du commerce international. Pour des raisons de sécurité, les armateurs déroutent leurs bâtiments par le cap de Bonne-Espérance, allongeant de presque 40 % l’itinéraire, provoquant ainsi une forte perturbation des chaînes d’approvisionnement et un renchérissement des coûts. Les houthis sont parvenus à produire un effet stratégique majeur avec des moyens très limités. Une dizaine seulement de navires commerciaux a été touchée. En arrière-plan, la République islamique d’Iran, lourdement sanctionnée depuis des années par les Occidentaux, met en lumière la vulnérabilité commerciale de ces derniers.
La seconde caractéristique est d’ordre politique. Dans un quotidien russe, un chef des houthis expose clairement leur objectif : « Augmenter le coût économique pour l’État hébreu afin de stopper le carnage à Gaza. » Il dénonce l’attitude des États-Unis et du Royaume-Uni avant d’ajouter : « Pour les autres pays, incluant la Chine et la Russie, leur transport maritime dans la région n’est pas menacé. » Au cas où les Européens n’auraient pas encore saisi l’interconnexion des conflits.
> Lire la chronique sur le site de la la revue Études
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