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"La moindre attention portée à la guerre en Ukraine est intégrée au raisonnement stratégique du Kremlin"

Interventions médiatiques |

interviewé par

  Bertrand Gallicher
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Si la guerre en Ukraine continue, avec des affrontements extrêmement violents dans le Donbass, on parle moins du conflit dans les médias ces derniers jours. Et le risque de banalisation pourrait avoir de grosses conséquences. Thomas Gomart, directeur de l'Institut Français des Relations Internationales et spécialiste de la Russie, répond à Bertrand Gallicher.

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Armes et équipements militaires sur les lignes de front de l'est de l'Ukraine, Donbass, Ukraine
Armes et équipements militaires sur les lignes de front de l'est de l'Ukraine, Donbass, Ukraine
Sebastian Castelier/Shutterstock
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Quatre mois après le début de la guerre déclenchée par la Russie contre l'Ukraine, le conflit se fait plus discret dans les médias en Europe de l’ouest. Le front de guerre est très actif et meurtrier, mais en l'absence de grands mouvements sur le terrain, les opinions publiques s'y intéressent moins.

Une banalisation qui pourrait avoir des conséquences sur la suite de la guerre et dont profite le Kremlin.

FRANCE INTER : Depuis que la guerre en Ukraine a fait irruption dans les médias occidentaux le 24 février dernier, cette actualité semble désormais reléguée au second plan. Ce changement sert-il les intérêts du Kremlin ?

THOMAS GOMART : "Il y a une moindre attention portée dans les médias à la guerre en Ukraine alors même que cette guerre fait rage. C’est le premier paradoxe, alors que dans le Donbass, on est sur des affrontements extrêmement meurtriers, les autorités ukrainiennes ayant commencé à communiquer sur leurs pertes en annonçant entre 100 et 200 morts militaires par jour.

Cet intérêt moindre traduit une versatilité des opinions publiques. Il est intégré au raisonnement stratégique du Kremlin qui considère être engagé dans cette 'opération militaire spéciale' pour une période de temps pas forcément brève. En outre, sur le plan de la communication, il y a une difficulté de l’Ukraine à renouveler un peu son discours. Ce qui avait frappé, c’est la capacité de mobilisation médiatique du président Zelensky. Aujourd’hui il est devant la nécessité d’expliquer à ses soutiens que la situation est extrêmement précaire sur le front.

Cette guerre a un coût qui est payé au prix fort par les Ukrainiens, mais qui commence aussi à être payé par les pays européens sur le plan économique, et donc à terme sur le plan social. Et donc il va y avoir très rapidement des voix pour indiquer que ce coût est très élevé, pour des opinions qui ne se sentent pas forcément directement concernées."

Y a-t-il, du fait de la moindre attention médiatique un risque de fracture dans le camp occidental entre les pays qui sont les plus allants comme les Pays baltes ou la Pologne et d’autres davantage réticents ?

THOMAS GOMART : "Ce risque existe. Il ne faut pas l’exagérer car il est présent depuis le déclenchement de la guerre, qui ne date pas du 24 février 2022 mais de l’annexion de la Crimée en 2014. Depuis, ces différences de sensibilité n’ont pas empêché une position commune, continue, sur la durée. Un certain nombre de pays, dont la France, ont pris des mesures de réassurance dans le cadre de l’OTAN. Après 2014 c'était en faveur des Pays baltes, et aujourd’hui en faveur de la Roumanie, où des troupes françaises ont été déployées.

Le risque vient beaucoup plus de la crise alimentaire qui s’annonce. L’impossibilité d’exporter du blé ukrainien est en train de provoquer une crise alimentaire aux conséquences très profondes. Et on voit bien que se met en place un récit russe consistant à dire 's’il y a une famine, ce sont les sanctions occidentales qui en sont à l’origine'. En inversant - comme le fait toujours le discours russe en période de guerre - la charge de la responsabilité.

C’est le grand sujet immédiat parce que cette crise alimentaire peut avoir des conséquences migratoires. Elle aura des conséquences sur la stabilité du pourtour méditerranéen, mais pas seulement."

Volodymyr Zelesnky va prendre la parole dans quelques jours au G7 par visioconférence. Ses interventions, désormais récurrentes, suffiront-elles à maintenir la mobilisation de l’Occident aux côtés de l’Ukraine ?

THOMAS GOMART: "Il y a peut-être sur le temps médiatique une impression de répétition voire de lassitude. Mais il faut rappeler les moyens dont il dispose. Il est dans son palais présidentiel, retranché, à la tête d’un pays en guerre qui se bat pour des raisons existentielles. Il faut se rendre compte aussi que l’Ukraine, qui subit cette agression, ne dispose pas d’une panoplie d’outils lui permettant de revisiter sa communication stratégique. Le président Zelensky agit, parle, dans un système extrêmement contraint.

On a quand même tendance à oublier le niveau de pertes, avec plus de 5 millions de réfugiés intérieurs, et plus de 6,5 millions de réfugiés à l’extérieur du pays. Les occidentaux ont parfois beau jeu de critiquer. Il y a peut-être un aspect répétitif, mais cela reste son principal outil pour que précisément les occidentaux ne l’oublient pas".

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