La MONUSCO a-t-elle échoué à maintenir la paix en République démocratique du Congo ?
La page de la MONUSCO en République Démocratique du Congo (RDC) devrait bientôt se tourner. Le 22 novembre dernier, un plan de retrait de la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO) a été signé. Autour de la table étaient présents la représentante spéciale en RDC du Secrétaire général des Nations unies, la Cheffe de la MONUSCO, Bintou Keita, ainsi que le vice-Premier ministre congolais, ministre des Affaires étrangères, Christophe Lutundula.
Ce dernier a estimé que la collaboration "a montré ses limites, dans un contexte de guerre permanente, sans que la paix tant attendue ne soit rétablie dans l'Est du Congo".
Une volonté de retrait qui n'est pas nouvelle. En septembre dernier, le président congolais, Félix Tshisekedi avait déjà réclamé le départ des 15.000 Casques bleus, et un mois plus tard, une déclaration du Conseil de sécurité avait acté la mise en place de ce processus.
La MONUSCO a-t-elle échoué à maintenir la paix en République démocratique du Congo ? Retour sur près de 25 ans de présence de la MONUSCO en RDC et les raisons de la fin de ses activités de maintien de la paix.
Origines et mandats de la MONUSCO
La MONUSCO (ex-MONUC) est en RDC depuis 1999. Cinq ans plus tôt avait lieu le génocide du Rwanda suivi de la fuite de 1,2 millions de Hutus vers le Nord-Kivu et le Sud-Kivu et des affrontements entre l’armée du Président zaïrois, Mobutu Sese Seko, et les forces de Laurent-Désiré Kabila, appelées Association des forces démocratiques de libération du Congo (AFDL). Ces dernières, appuyées par le Rwanda et l’Ouganda, se sont emparées de la capitale, Kinshasa en 1997. Un an plus tard, un soulèvement contre le gouvernement éclatait et des groupes rebelles étendaient leur emprise à l'est du pays.
C'est dans ce contexte que le gouvernement congolais a demandé aux Nations Unies d'envoyer une mission de maintien de la paix. La résolution 1279 (1999) du 30 novembre 1999 institue la mission de la MONUC avec notamment l'envoie de 500 observateurs militaires.
Au fil des années, des dizaines de résolutions sont adoptées pour préciser ou élargir le cadre d'intervention de la MONUC puis de la MONUSCO (voir chronologie ci-dessous).
Cela fait des décennies que les Forces armées de la RDCongo (FARDC) font face à des conflits impliquant une centaine de groupes armés. Depuis 2012, l'un d'entre eux a fait son retour : la milice M23. Ce groupe, "preuves substantielles" à l'appui selon l'ONU, serait soutenu par le Rwanda voisin. Selon Patrick Balemba Batumike, charge de recherche et animation au sein de Justice et Paix Belgique, "le Gouvernement congolais considère ce groupe comme les supplétifs de l’armée rwandaise de Paul Kagame".
Outre la conquête de plusieurs zones orientales, dont la capitale de la province du Nord-Kivu, Goma, le retour de M23 s'accompagne d'une recrudescence de la violence dans la région sans qu'aucune solution politique ne soit trouvée pour y faire face. Conséquence ? "Plus de 10% de la population est déplacée interne en raison des conflits, exacerbant les crises humanitaires. Le cas le plus parlant est la présence des milliers de personnes autour de la ville de Goma (Mugunga Kanyaruchina, …)", pointe Patrick Balemba.
L'une des dernières actions supposées de M23 a eu lieu en novembre 2022, lors du massacre de 131 civils - par balle ou arme blanche - dans deux localités du Rutshuru au Nord-Kivu. Cet épisode signe, selon certains, un nouvel échec de la mission onusienne dans son maintien de la paix à l'est du pays, qui serait inexistant. C'est l'avis de Thierry Vircoulon, chercheur associé et coordinateur de l'Observatoire de l'Afrique centrale et australe, Centre Afrique Subsaharienne de l'Institut français des relations internationales (Ifri) qui se demande "de quel maintien de la paix on parle exactement parce que depuis 20 ans, il n'y a pas de paix dans les Kivu". "La vérité, ajoute-t-il, c'est que la MONUSCO, elle a complètement échoué". Un échec à protéger les civils à l'image du massacre de Kishishe.
"La MONUSCO est dans une situation d’impuissance face au M23 et face à tous les groupes armés au nord et au sud du Kivu", résume Thierry Vircoulon sur France Culture.
Face à ce constat et pour réaffirmer sa souveraineté militaire, le gouvernement de la RDC a donc demandé le départ progressif de la MONUSCO. Pour Patrick Balemba, "il y a un objectif stratégique de transférer progressivement les responsabilités de sécurité aux forces armées réorganisées de la RD Congo, mais encore faut-il évaluer si les forces armées de la RDCongo ont acquis déjà la capacité de le faire. Un accord a été signé le mois dernier entre la RDCongo et la Monusco pour la sécurisation et la défense de la ville de Goma "springbok"".
Car il semble compliqué pour l’armée congolaise seule de maîtriser la situation face au groupe rebelle M23. Selon, Thierry Vircoulon sur France Culture elle est mal organisée mais surtout gangrenée par la corruption devenue une "tradition dans l’armée congolaise". L’expert conclut en ajoutant que certains officiers vendraient même leurs armes et munitions aux groupes armés qu’ils combattent.
"On ne peut pas continuer à se moquer des Congolais"
Une partie de la population congolaise aussi souhaite le départ de la MONUSCO. Cette frustration voire colère vis-à-vis de l'organisation onusienne se traduit par des protestations, parfois meurtrières, comme ce fut le cas au cours de l'été 2023. "Nous ne voulons plus de la MONUSCO", "bye bye MONUSCO", pouvait-on lire sur les affiches d'une "campagne" anti-mission onusienne en RDC. L'un de ses membres affirme au micro de RFI que "depuis que la MONUSCO est en RDC leur bilan est mitigé, nous avons lancé l'appel qui avait l'objectif de dire : zéro MONUSCO (...) vous devez partir car vous avez échouez lamentablement".
Même son de cloche du côté de la société civile. Celle du Rutshuru dont le président Jean-Claude Bambanze soutient qu' "on ne peut pas continuer à se moquer des Congolais".
Pour Patrick Balemba, "la population émet légitimement des critiques concernant l'utilisation insuffisante du Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies, qui autorise l'usage de la force pour protéger les civils. Mais selon les dires du Secrétaire général Antonio Gutieres des Nations Unies qui estime que " le M23 est mieux équipé que les forces des Nations Unies ", la Monusco se laisse percevoir comme une institution budgétivore". Pour cause : le budget de la MONUSCO est estimé un milliard de dollars par an, selon France Culture.
"Cette frustration et cette colère se déversent à travers la mésinformation"
La MONUSCO ne nie pas cette frustration des Congolais à son égard. Mais elle l'explique par d'autres raisons que celles d'un échec ou d'une impuissance. Bintou Keïta, la cheffe de la MONUSCO affirme sur ONU Info qu'il y aurait "un très grand décalage entre ce que peuvent faire les Casques Bleus en termes de protection physique et la compréhension du mandat par la population ou même par les élites du pays. Dans ce grand décalage, il y a la notion qu'aucune personne, dans les trois provinces où nous sommes déployés, ne peut perdre la vie et ne peut être blessée parce que les Casques Bleus sont présents." Elle ajoute que "cette frustration et cette colère se déversent de plusieurs manières dans les réseaux sociaux à travers la mésinformation, la désinformation et même des appels à attaquer les Casques Bleus parce que l’on considère qu'ils ne font pas leur travail". Finalement, pour madame Keïta "c'est aussi une forme de désespoir, parce que l'attente est tellement grande qu’ils sont déçus et ils pensent que d'avoir toute cette violence verbale, cette incitation à la violence à travers les mots va amener à une posture différente."
Parmi les messages de désinformation évoqués par la cheffe de la MONUSCO, il y a notamment eu celui-ci qui a beaucoup circulé durant l'année 2022 : la MONUSCO approvisionnerait les groupes armés. "C’est absolument faux", a lancé le commandant du secteur nord de la force de la Monusco, Mushin Alam lors d'une conférence de presse tenue le 10 mars 2022 à Bunia. "La MONUSCO n’est pas venue ici pour soutenir tel ou tel groupe, elle est ici pour soutenir le gouvernement. La MONUSCO est neutre et impartiale. Que ceux qui font de telles accusations apportent les preuves de ce qu’ils disent. Vous êtes des journalistes, je vous invite à enquêter et à partager les conclusions de vos rapports avec vos députés et les autorités", a-t-il ajouté.
"C’est faire le jeu des ennemis du Congo"
Dans ce climat de réticence forte à l'encontre de la MONUSCO, quelques rares voix soutiennent encore l'action de l'ONU. C'est le cas du chercheur et politologue congolais Alphonse Maindo, interrogé par RFI : "Je pense que c'est irresponsable de demander, c'est faire le jeu des ennemis du Congo. La MONUSCO a sans doute des faiblesses considérables, nous tous nous déplorons ça, mais il y a lieu de l'améliorer, s'il n'y avait pas la MONUSCO la situation serait encore plus dramatique."
Qu'elle soit véritablement inefficace ou simplement le bouc émissaire de l'incapacité à endiguer les violences en RDC, la MONUSCO tirera, de toutes façons, bientôt sa révérence à Kinshasa.
Pour Félix Tshisekedi, le président de la RDC interrogé par Le Soir, le 18 novembre dernier, "le départ de la MONUSCO ne doit pas être précipité et se fera dans les meilleures conditions. Les éléments de la MONUSCO sont arrivés à un point où ils ne peuvent plus être utiles à la lutte que nous menons contre l’instabilité et la population commence à se retourner contre eux".
Si aucun calendrier ferme n’a encore été annoncé, se pose déjà la question de l'après. "Qui va remplacer la MONUSCO ?", s'interroge Thierry Vircoulon. "Son départ laisse un vide et il va être rempli. Il va y avoir d'autres acteurs qui vont venir pour créer ce que j'appellerais le Congo Post-MONUSCO. L'un d'entre eux, c'est la SADEC [la Communauté de développement de l’Afrique australe, ndlr] qui vient de donner son accord pour le déploiement d'une force dans les Kivu".
Prochaine échéance importante dans le pays : les élections générales du 20 décembre 2023 durant lesquelles la MONUSCO aura encore un rôle logistique, qui selon Patrick Balemba, "soulève des questions sur la faisabilité de son retrait à court terme et l’impossibilité de tenir les élections dans tous les territoires Congolais."
> Article paru sur RTBF.be
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