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La Russie, société fragmentée et désorientée

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Pour les uns, la Russie est politiquement apathique, en demande d’un État paternaliste, prête à tronquer ses droits civiques et politiques contre des garanties économiques et sociales minimales. Pour d’autres, il s’agit au contraire d’une société à résilience et vivacité exceptionnelles, dont une partie importante ne cesse de s’autoorganiser et de résister en dépit d’un contexte économique et politique difficile. 
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Il n’y a pas une Russie, mais plusieurs qui coexistent et, parfois, se croisent à peine : la Russie des grandes métropoles et celle des campagnes, la Russie des villes de province et celle des régions géographiques périphériques. Elles n’ont pas les mêmes accès aux services publics, ni aux infrastructures de transport et autres.

Les salaires et le taux de chômage sont également très variables selon les régions. Sur le plan social, la Russie connaît autant d’inégalités que les États-Unis, et beaucoup plus que plusieurs pays européens, la plupart des richesses étant concentrées entre les mains d’une petite proportion de la population.

Depuis l’annexion de la Crimée en 2014, le « patriotisme », accompagné d’une militarisation des pratiques et des esprits sous l’effet de la propagande, s’est imposé comme une notion clef du discours politique en Russie. La télévision publique pratique la censure et oriente ses contenus éditoriaux de manière à satisfaire le pouvoir.

Loin d’être dupe, la population - surtout les jeunes - fait moins confiance à la télévision et s’informe de plus en plus via Internet, auquel près des trois quarts des Russes ont accès. On est donc très loin du « rideau de fer » informationnel de l’époque soviétique. Mais les réseaux sociaux sont perçus comme un fléau par les autorités, qui cherchent à en contrôler les contenus.

La société russe semble aujourd’hui très fragmentée et désorientée ; ses différentes couches vivent à des vitesses et des degrés d’ouverture différents. Ces clivages donnent l’image d’un pays incapable de définir sa trajectoire de développement, oscillant entre ouverture et désir de repli. Le Kremlin cherche surtout à ne pas fragiliser son socle de soutien pour éviter de provoquer des mouvements qui lui seraient fatals.

Vers une période de turbulences ?

Cette « stabilité », que beaucoup commencent à comparer à la « stagnation » de l’époque de Brejnev, reste importante pour la population qui, tout en appelant des changements, ne souhaite pas en endosser la responsabilité et les risques. Les « années noires » de transition de la décennie 1990, que les autorités russes ne cessent d’utiliser comme un épouvantail, la chute du niveau de vie, les guerres locales en périphérie, la perte par la Russie post-soviétique de son statut de superpuissance font encore regretter à beaucoup de Russes la disparition de l’URSS.

Aujourd’hui, le pouvoir en Russie est davantage déterminé par la personnalité de son Président que par ses institutions ; dans ces conditions, la succession à venir (probablement en 2024, à la fin du quatrième mandat présidentiel de Vladimir Poutine) risque d’ouvrir une période de turbulences économiques, sociales et politiques. Dans ce contexte, il est fort probable que la stabilité, la prospérité relative et le retour du prestige international de l’ère Poutine laisseront derrière eux beaucoup de nostalgiques.

Lire l'article sur le site de Ouest-France

Le texte intégral est disponible dans la revue Etudes, mars 2019.

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Tatiana KASTOUÉVA-JEAN

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Directrice du Centre Russie/Eurasie de l'Ifri