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La solidarité européenne à l'épreuve du coronavirus

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interviewé par Priscille Lafitte pour

  France 24
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L'arrivée de la pandémie de Covid-19 en Europe s'est accompagnée d'un cafouillage et d'une absence de solidarité européenne envers l'Italie, premier pays touché. Le sursaut européen sera nécessaire pour affronter la crise économique et sociale, alerte le chercheur de l'Ifri Eric-André Martin.

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Coordination européenne ou émiettement de la solidarité entre pays ? Les fondamentaux de l'Union européenne sont ébranlés par la crise du Covid-19. Une ancienne fracture réapparaît entre les pays du nord, tels l'Allemagne et les Pays-Bas, aux finances publiques saines, et ceux du sud, comme l'Italie, l'Espagne ou même la France, accusés de laxisme budgétaire. Confrontée à une crise sanitaire qui risque de mettre l'économie de l'UE à genoux, les 27 ne parviennent pas à s'entendre sur une riposte commune forte.

"Est-ce que l'UE, la zone euro se résument à une institution monétaire et un ensemble de règles, très assouplies, qui permettent à chaque État d'agir de son côté ? Ou agit-on ensemble pour financer nos dépenses, nos besoins dans cette crise vitale ?", questionne Emmanuel Macron dans un entretien à des journaux italiens vendredi soir. "Nous ne surmonterons pas cette crise sans une solidarité européenne forte, au niveau sanitaire et budgétaire", a-t-il averti.

L'alerte, visant à mettre un terme à ces atermoiements, a été donnée par l'ancien président de la Commission européenne et figure morale et tutélaire de la construction européenne, Jacques Delors (président de la Commission européenne de 1985 à 1995). "Le microbe est de retour", a mis en garde l'ancien ministre français de l'Économie âgé de 94 ans.  "Le climat qui semble régner entre les chefs d'État et de gouvernement et le manque de solidarité européenne font courir un danger mortel à l'Union européenne", avertit-il.

Il y a eu un "ratage au démarrage", décrypte Éric-André Martin, spécialiste des questions européennes à l'Ifri, l'institut français de relations internationales, joint par France 24.

  • "Ratage dans l'évaluation de l'ampleur du problème et des moyens dont il fallait disposer. La Commission et les États membres ont été pris au dépourvu. Les gouvernements ont exigé des réponses européennes, parfois pour masquer leur propre impuissance à agir", analyse-t-il.


"La solidarité européenne est un conte de fée"

L'Italie est "l'exemple le plus criant [de ce ratage]", poursuit Éric-André Martin. "Au départ, quand l'Italie a demandé de l'aide à la France et à l'Allemagne, ces pays n'ont pas pu répondre positivement. C'est un phénomène de panique face à l'inconnu, les gouvernements n'ont pas osé prendre l'initiative de donner des moyens à l'Italie, ce qu'on leur aurait peut-être reproché ensuite si le matériel était venu à manquer dans leur pays." À défaut de pouvoir compter sur la solidarité européenne, l'Italie a accepté l'aide de la Russie, de la Chine et de Cuba. 

La déception était également retentissante en Serbie. Le président Aleksandar Vucic a fait une allocution solennelle pour faire état du manque de moyens et des réticences européennes à venir en aide à ce pays voisin de l'UE. Il a eu cette expression peu flatteuse pour Bruxelles : la solidarité européenne n'existe pas, c'est "un conte de fée".

  • Or, "l'Europe ne peut pas se désintéresser de ce qu'il se passe dans les pays voisins immédiats et laisser des acteurs tiers déployer leur influence comme la Chine, la Russie, et la Turquie", analyse Éric-André Martin.

 

Réserve médicale financée par la Commission

Le sursaut d'entraide est venu de quelques Länder allemands, qui ont initié un mouvement inverse de solidarité européenne, en accueillant des patients français et italiens atteints du Covid-19 à la demande de la Commission européenne.

Le réveil européen est arrivé le 19 mars, avec la création d'une réserve de matériel médical (masques et appareils respiratoires) financée à 90 % par la Commission européenne, avec 10 % restant à charge des pays accueillant ces réserves. "Lorsque l'ampleur d'une situation d'urgence dépasse les capacités de réaction d'un pays, celui-ci peut demander de l'aide par l'intermédiaire du mécanisme. À ce jour, tous les États membres de l'UE participent au mécanisme, de même que l'Islande, la Norvège, la Serbie, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Turquie", précise le communiqué européen.

Le 26 mars, les chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne ont réussi à se parler lors d'un Conseil européen. La nécessité d'une réponse sanitaire coordonnée a été évoquée : appels d'offre communs pour obtenir du matériel médical, budgets européens pour la recherche, etc. "C'est une évolution intéressante", note Éric-André Martin, "les pays européens peuvent lancer des appels d'offre conjoints, pour acheter une plus grande quantité de matériel médicaux sur les marchés internationaux à moindre coût".

Intérêts divergents autour des "Corona-bonds" 

Mais à l'occasion de ce Conseil européen, les incompréhensions se sont accumulées quand l'Allemagne, l'Autriche, la Finlande et les Pays-Bas se sont opposés à une levée commune de fonds, par la création d'un instrument financier qui profite à tous les États membres, en particulier aux pays les plus endettés. Refuser un instrument commun et préférer la concurrence au détriment de certains États, voilà bien une mise à terre de l'esprit de l'Union européenne.

Vendredi matin, Antonio Costa, le Premier ministre portugais, s'en est violemment pris à l'attitude "répugnante", d'une "inconscience absolue", du ministre des Finances néerlandais, Wopke Hoekstra, qui a demandé à la Commission d'enquêter sur les raisons de l'absence de marge de manœuvre budgétaire de certains pays pour faire face à la crise du coronavirus. Le Premier ministre italien, Giuseppe Conte, dont le pays est le plus touché au monde en nombre de morts, a appelé l'UE "à ne pas commettre d'erreurs tragiques". Sinon, "l'édifice européen tout entier risque de perdre sa raison d'être", déclarait-il dans le quotidien italien Il Sole 24 Ore de samedi.

"Penser que l'on peut s'en sortir mieux que son voisin, est illusoire", tempère Éric-André Martin. "Il ne faut pas rester sur les ratages initiaux, qui ne sont pas seulement du fait de Bruxelles, mais de chacun des États membres. Il faut garder une solidarité de cohésion, car après la crise sanitaire, une grave crise économique et sociale s'annonce, voire une récession. Pour l'aborder, il faut rapidement revenir aux fondamentaux de l'UE pour en sortir renforcés, et mettre de côté les divisions et les rancœurs."

 

> Voir l'interview sur France 24

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Éric-André MARTIN

Éric-André MARTIN

Intitulé du poste

Ancien secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l'Ifri