L’AfD gagne sa première municipalité outre-Rhin. Vers quoi l’Allemagne se dirige-t-elle exactement ?
Alors que les services de renseignement du Land de Saxe ont décidé d’inscrire l’AfD sur leur liste de surveillance des mouvements d’extrême droite extrémistes, les électeurs de la ville de Pirna, dans le même Land, ont élu un maire issu de ses rangs.
Atlantico : Les services de renseignements du Land de Saxe ont décidé d’inscrire l’AfD sur leur liste de surveillance des mouvements d’extrême droite extrémistes. Quelle est la nature exacte de ce parti ? Est-ce plus compliqué que la simple extrême droite raciste ou pas ?
Eric-André Martin : Le discours anti-immigré, qui s’est développé à partir de 2015 a fortement changé la composition de l’électorat de l’AfD, parti qui a été formé à l’origine par des professeurs d’économie et des juristes, qui rejetaient la création de l’euro. Par la suite sont apparus d’autres thèmes mobilisateurs, contre les mesures anti-Covid et l’obligation vaccinale, ou encore plus récemment le soutien allemand à l’Ukraine et les sanctions contre la Russie.
Certaines fédérations de l’AfD dans des Länder, dont la Saxe, ont attiré l’attention des services de renseignement intérieur en raison de leur discours radical , largement diffusé sur les réseaux sociaux, et du profil de certains militants qui sont considérés comme susceptibles de constituer une menace pour les institutions démocratiques du pays. Ce qui a justifié leur mise sous surveillance au nom de la défense de la constitution.
Au-delà de ces éléments radicaux, certains responsables du parti ont adopté une vision révisionniste de l’histoire allemande et fortement eurosceptique et nationaliste, ce qui ne serait pas sans conséquence sur la trajectoire du pays et le projet européen.
Plusieurs élections sont prévues en Allemagne en 2024 (régionales et européennes). Cette montée de l'extrême droite est-elle inquiétante ? Quels pronostics électoraux pour l'Allemagne toute entière ?
Si l’on regarde les sondages réalisés à la mi-décembre 2023, les intentions de vote pour l’AfD au niveau fédéral se situent entre 20 et 23 %, ce qui est considérable au regard des 10.3% obtenus lors des élections générales de 2021.
Le plus frappant ce sont les intentions de vote dans les Länder de l’est, dans lesquels se tiendront des élections régionales à l’automne 2024 : 27% dans le Brandebourg, 35% en Saxe et 34% en Thuringe. Ce qui voudrait dire que l’AfD serait de très loin la première force politique régionale. Ce qui poserait alors un problème pour la formation des gouvernements régionaux car jusqu’ici les autres pays refusent de former des coalitions avec l’AfD. Seule la CDU dépasserait les 20 % et aurait le choix théorique entre essayer de former une coalition de tous les autres partis pour faire barrage à l’AfD, soit faire alliance avec elle.
Les conséquences de ces élections régionales se feraient sentir au niveau fédéral en raison de la pression qui pèserait sur la CDU, dont les fédérations régionales pourraient être tentées de s’unir avec l’AfD, en prenant le risque de faire éclater le parti . Cela pourrait entrainer une crise politique sur le modèle de ce qui s’était passé en 2020 en Thuringe, après l’élection d’un ministre président avec les voix de l’AfD. Ce qui avait entrainé la démission d’Annegret Kramp Karrenbauer, qui s’était sentie désavouée par sa base.
Y aura-t-il encore des coalitions possibles sans l'AfD ?
Les élections régionales de l’automne 2024 permettront de mesurer en grandeur nature les nouveaux équilibres politiques et particulièrement l’ampleur de la poussée populiste.
Un certain nombre de facteurs pourraient toutefois changer la donne politique d’ici là, avec la création de l’Alliance Sarah Wagenknecht, nouveau parti de gauche populiste, qui devrait prendre des voix à l’AfD et ouvrir le jeu politique.
La capacité de la coalition feu tricolore à répondre au fort mécontentement suscité par la politique suivie, notamment par rapport à la cherté de la vie sur les produits alimentaires et le cout de l’énergie, jouera un rôle important à travers l’effet des mesures de soutien financées par le budget fédéral.
La question de la maitrise des flux migratoires et des moyens affectés à l’intégration des immigrés constitue un autre abcès de fixation, dont profite l’AfD. Les partis traditionnels ont d’ailleurs durci la politique menée, ce qui devrait apaiser le mécontentement.
Il ne faut pas non plus exclure le développement d’une réaction anti-AfD chez les électeurs, qui se mobiliseraient plus activement pour faire barrage à ce parti.
Et si le pays devenait ingouvernable et/ou dirigé par des coalitions totalement hétéroclites, quelles conséquences ?
Indépendamment de la poussée populiste, le système politique allemand se fragmente, un phénomène que la grande coalition entre la CDU et le SPD avait contribué à masquer. Jusqu’à présent, les partis ont réussi à en compenser les effets en constituant des coalitions élargies, ce qui suppose que tous les partis peuvent travailler ensemble.
La progression de l’AfD dans le paysage politique, complique la donne politique en brouillant le jeu des partis. Par ailleurs l’Allemagne ne peut plus se considérer comme un pays immunisé contre le risque populiste surtout si l’on considère que l’Alliance Sarah Wagenknecht, devrait créer une nouvelle offre populiste sur la gauche.
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