« L’Allemagne ne se voit pas en guerre contre le terrorisme »
Le ministre de l’intérieur, Thomas de Maizière, l’avait répété depuis au moins les attentats de Paris en 2015 : le risque d’attentats terroristes en Allemagne était élevé. Face à cette mise en garde, les réactions des Allemands semblaient parfois contradictoires : d’un côté, les sondages montrent que les trois quarts environ de la population ont peur d’attaques terroristes. En même temps, les Allemands ont toujours donné l’impression de croire que les attentats n’arrivent qu’aux autres. Une valise sans propriétaire ne faisait peur à personne.
L’Allemagne (de l’Ouest) a certes connu des attentats par le passé, qu’ils soient liés à la Fraction Armée rouge, attribués à Kadhafi ou encore revendiqués par l’extrême droite. Le risque semblait tout de même peu réel. Les attaques survenues à l’été 2016 n’ont jamais vraiment changé ce sentiment de base. Le 18 juillet, un homme d’origine afghane a attaqué plusieurs personnes à la hache et au couteau dans un train régional, qu’il a très grièvement blessées. Six jours plus tard, un homme d’origine syrienne s’est fait exploser lors d’un festival de musique en Bavière. Sans doute par chance – il semble avoir déclenché la bombe trop tôt –, l’homme reste la seule victime.
Le 19 décembre, pour beaucoup d’Allemands, le pays a donc vécu son premier « vrai » attentat islamiste. Quelles sont les conséquences probables de cette attaque contre un marché de Noël berlinois – un attentat (présumé) qui, pour la première fois, a sans doute fait que bon nombre d’Allemands ont réalisé que la menace était réelle et que n’importe qui pouvait être touché ?
Prendre au sérieux les inquiétudes de la population
Sur le plan politique, il semble évident qu’un débat sur la menace terroriste et la protection des citoyens s’ensuivra. Il sera la continuation du débat en cours, qui porte sur la sécurité intérieure, les réfugiés et l’idée que l’Allemagne est devenue un pays moins sûr. Portant jusqu’à présent principalement sur des risques comme la sécurité des femmes ou la violence (et notamment suite aux événements survenus à Cologne le 31 décembre 2015), l’aspect terroriste passera sans doute au premier plan. Le soir même des événements, les médias ont en très grande partie su garder leur sang froid, tout comme les responsables politiques et les autorités. Les spéculations sans
fondement ont pour la plupart été évitées, la communication est restée factuelle.
Mais dans les jours et semaines à venir, un débat va certainement émerger sur la question de savoir quelles conclusions il convient de tirer de ces événements. En dépit des mises en gardes répétées contre la menace terroriste, les Allemands n’étaient sans doute pas psychologiquement préparés à ces attentats. Le bon sens est donc particulièrement vulnérable en ce moment. Il faut par conséquent espérer que la circonspection reste de mise et que les responsables politiques sauront gérer la situation avec discernement : prendre au sérieux les inquiétudes de la population sans semer la panique, trouver les réponses nécessaires sans tomber dans le piège de la dérive sécuritaire.
Près d’un milliard d’euros pour la sécurité
Les tentatives de récupération ont bien sûr déjà commencé, et nombreux sont ceux qui font un lien avec la politique des réfugiés, notamment les populistes de droite de l’Alternative für Deutschland dont par exemple le président du Land de Nord-Rhénanie-Westphalie avait déclaré que les morts de Berlin étaient « les morts de Merkel ». Il va de soi que le sujet est particulièrement chaud à un moment ou l’Allemagne se trouve en pré-campagne électorale, le renouvellement du Bundestag étant prévu pour l’automne 2017. Dans l’ensemble, la sphère publique reste cependant relativement calme et les appels à la pondération sont nombreux. La rhétorique de guerre reste un phénomène
rare, tout comme il n’y a pas eu d’appels à instaurer l’état d’urgence (qui, de toute manière, ne s’appliquerait pas au cas de figure qui se présente à Berlin).
Sur le plan sécuritaire, l’Allemagne a déjà renforcé ses dispositifs de sécurité depuis le 11 septembre 2001 et bien sûr au vu des événements de ces deux dernières années. La police est déjà devenue plus visible et suite aux incidents de cet été, le ministre de l’intérieur Thomas de Maizère a présenté un « paquet de sécurité » regroupant un catalogue de mesures financières et législatives. Les autorités fédérales responsables de la sécurité intérieure verront augmenter leurs budgets de presque un milliard d’Euros durant les années à venir, tout comme les effectifs seront en hausse de plusieurs milliers de postes.
Le droit des étrangers devra par ailleurs être réformé et devenir plus strict, tout comme il sera plus facile de placer en garde à vue des personnes susceptibles de mettre en danger l’ordre public. La déchéance de nationalité est également discutée (bien que rejetée par la Chancelière). Certains voient l’interdiction de la burka comme une question de sécurité. Il semble aussi probable qu’un vieux débat allemand soit ravivé : celui sur le déploiement de l’armée à l’intérieur.
A l’heure actuelle, un équivalent allemand de l’opération Sentinelle serait tout simplement impossible. Pour des raisons historiques qui vont bien plus loin que le Troisième Reich, la Loi fondamentale (à quelques exceptions précises près) interdit tout simplement le recours aux forces armées sur le sol allemand. Durant les semaines à venir, l’Allemagne discutera sans doute la question de savoir si les mesures prises sont suffisantes. Cela étant, les Allemands ne voient pas forcément le terrorisme comme un problème purement sécuritaire. Les questions de prévention ou encore de déradicalisation sont considérées comme au moins aussi importantes – sachant que l’approche allemande dans certains de ces domaines constitue un modèle auquel on s’intéresse aussi à l’étranger et notamment en France.
Scepticisme face à l’option militaire
Finalement, et c’est là que l’Allemagne se distingue peut-être le plus de la France, cet attentat ne sera sans doute pas l’occasion pour Berlin de revoir sa politique étrangère. Le tout nouveau livre blanc, publié en juillet, mentionne certes le terrorisme transnational comme l’un des grands défis auxquels sont confrontés l’Allemagne et l’Europe. Mais la notion du continuum entre la sécurité extérieure et la sécurité intérieure, si chère aux Français, n’est pas facile à vendre à Berlin.
Pour la plupart des responsables allemands, la lutte contre le terrorisme est une question qui relève principalement de la sécurité intérieure et qui requiert un ensemble de moyens politiques, juridiques, de renseignement, de police et militaires. Un attentat islamiste à Berlin (si l’hypothèse se confirme), n’est donc pas considéré comme une raison de s’engager davantage dans la lutte contre Daesh. Sceptiques face à l’idée que le problème du terrorisme pourra être résolu avec des moyens militaires, les Allemands sont tout de même présents en Afghanistan, en formant les Peshmergas ou au Mali – c’est qui est bien souvent plus perçu comme un acte solidarité avec la France que comme un moyen de défendre la sécurité de l’Allemagne. L’accent est actuellement mis sur la réassurance des alliés du « flanc est » de l’OTAN dans laquelle les soldats de la Bundeswehr jouent un rôle beaucoup plus important que leurs collègues français et en quoi Berlin voit une contribution considérable à la sécurité européenne.
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