L’Allemagne, un ami qui nous veut du mal à l’insu de son plein gré ?
Emmanuel Macron doit se rendre en Allemagne du dimanche 26 au mardi 28 mai. L'occasion pour lui de réanimer le couple franco-allemand.
Atlantico : A l’occasion de la visite d’État d’Emmanuel Macron en Allemagne, de dimanche à mardi, quel est l’état de la relation franco-allemande ? Qu’est-ce qui distingue la France et l’Allemagne politiquement, géopolitiquement et économiquement ?
Eric-André Martin : Aujourd'hui, la France et l'Allemagne sont rappelées à la généalogie de l'histoire de cette relation. Le couple franco-allemand a tiré sa force de la réconciliation entre nos deux pays. Cette réconciliation a été la condition pour se lancer dans l'aventure européenne et pour construire le projet européen. La France et l’Allemagne sont actuellement dans un moment fondateur. L'Europe, depuis le début de la guerre en Ukraine, est obligée de renforcer son unité afin de pouvoir agir et pour ne pas céder à la division face à la Russie. Il y a aussi d'autres concurrents pour l’Europe comme la Chine. Il est donc très important que la France et l'Allemagne arrivent à s'entendre. Si des divisions entre la France et l'Allemagne étaient trop manifestes et trop profondes, cela contribuerait à fragmenter l'Europe.
Les moments politiques et symboliques forts que peut offrir une visite d'Etat jouent un rôle tout à fait essentiel. Cet échange entre Paris et Berlin va permettre d’apporter un message d'unité. Cela va montrer aux autres partenaires européens que les dirigeants des deux pays sont bien conscients à la fois de l'héritage dont ils sont dépositaires et en même temps des défis qui sont posés par l'époque. Telle est la spécificité de la relation entre les deux pays.
Il n’y a pas d’harmonie spontanée entre la France et l'Allemagne. Il ne faut pas demander à la relation franco-allemande ce qu’elle ne peut pas faire. Mais la force de cette relation est qu'elle a presque toujours su dégager des compromis, en partant de prises de positions de départ peut être parfois assez éloignées sur le plan politique, sur l’économie ou l’industrie. Ces compromis avaient une force d'entraînement indéniable pour l’ensemble de l’Europe.
Henri de Bresson : La relation franco-allemande n'a jamais été très simple. Il y a eu des moments formidables et il y a eu des phases ou les relations entre le chancelier allemand et le président français étaient plus distantes. Les deux pays sont actuellement confrontés à des difficultés intérieures et ne donnent pas l’impression de savoir où ils vont. La coalition allemande est compliquée entre les Verts, le parti social-démocrate et le parti libéral. La situation politique en France est aussi complexe. Emmanuel Macron ne dispose que d’une majorité relative. Ce contexte politique ne simplifie pas les choses.
Un long moment s’est écoulé depuis la dernière visite d’Etat d’un président de la République français en Allemagne. Dans un tel cadre et avec un format similaire, cela remonte à plus de vingt ans. Cela veut dire que les deux Etats pensent qu’il faut rebondir et relancer la diplomatie franco-allemande après des moments difficiles ou face à des situations de crise comme la guerre en Ukraine. Ce conflit a révélé les failles de la défense européenne. Au sommet de Versailles, au début de l’offensive russe, Emmanuel Macron avait multiplié les discours pour dire qu'il fallait que les Européens se prennent en main au niveau de la défense. Cela n'a pas eu de suite. Certains autres pays européens comme l'Allemagne et les pays du Nord de l’Europe ont eu le réflexe de privilégier la solution de secours via le soutien et l’aide des Etats-Unis. A partir de là, les discussions sont devenues de plus en plus complexes. Les Allemands ont été accusés de ne pas prendre au sérieux la menace russe. Les Français ont été pointés du doigt pour avoir voulu développer un double discours.
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L’Allemagne n’est pas animée de mauvaises intentions face à la France mais n’a-t-elle pas eu tendance à faire prévaloir son intérêt national dans certains domaines comme sur la question du nucléaire ou pour sa politique industrielle alors que la France avait tendance à jouer l’intérêt européen tout en se montrant arrogante ?
Eric-André Martin : Tout le monde a tendance à jouer sa carte nationale. Les Allemands ont défendu leur industrie. Ils ont joué une carte nationale sur l'automobile en jouant le jeu de la mondialisation, autour d’un partage du travail avantageux pour eux. L'industrie allemande s'est développée au fil du temps car elle est compétitive, de grande qualité et parce que les clients sont nombreux à vouloir acheter des voitures allemandes. Ce succès allemand est lié à une garantie de qualité et de fiabilité que n'ont pas nécessairement les industries concurrentes, y compris les voitures françaises. Les atouts et une partie du succès de l’Allemagne s’expliquent par une dynamique de marché.
En revanche, l'Allemagne est aujourd'hui plus en difficulté que la France car elle a beaucoup misé sur le marché chinois. Berlin a investi beaucoup sur ce marché chinois à travers ses grands constructeurs automobiles qui réalisent une partie importante de leur chiffre d'affaires. Mais aujourd'hui, le marché chinois devient plus difficile et plus compétitif. Les débouchés sont moins importants pour les entreprises allemandes sur ce marché. Berlin est obligé de faire face également à la concurrence des voitures chinoises importées. L’Allemagne a un peu trop misé sur ce qu'elle pensait être sur une supériorité qualitative dans le temps et qui aujourd'hui se retourne un peu contre elle. Les autorités allemandes ont beaucoup moins investi et sont beaucoup moins impliquées dans le domaine des véhicules électriques que les Chinois, qui eux sont très présents et très agressifs.
Bruno Alomar : L’Allemagne, dans plusieurs domaines, pense en effet « Allemagne » avant de penser « Europe », « partenariat franco-allemand » ou quoi que soit d’autre. Elle l’a montré dans la crise de l’euro (volonté de sortir la Grèce « temporairement » de l’euro), dans la gestion des migrations (décision 2015 sur les réfugiés syriens), dans le domaine énergétique (combat puissant contre le nucléaire civil), et plus récemment dans la relation commerciale avec la Chine (volonté manifeste de traiter directement avec Pékin). L’Allemagne, avec ses erreurs, a donc la politique de ses intérêts, et elle n’hésite pas à s’opposer à la France. Dans son discours de Prague d’août 2022 le Chancelier allemand évoque à peine la France. Il est loin le temps où Helmut Kohl disait que quand la France était opposée à un texte au Conseil UE c’est l’Allemagne qui en demandait le retrait…
La vraie question est : la France, elle, a-t-elle ou non la politique de ses intérêts et sait-elle quels sont ses intérêts ? Le vrai problème n’est pas que l’Allemagne joue sa partition. Le vrai problème c’est que la France continue de s’illusionner – de moins en moins il est vrai – sur la mythologie d’un couple franco-allemand auquel personne ne croit au-delà du périphérique parisien. J’ajoute que la plupart des États membres de l’UE ont eux aussi une vision pragmatique de l’UE qu’ils considèrent au travers du prisme de leurs intérêts.
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Comment renouer une relation qui ne soit pas fondée sur des allusions réciproques entre la France et l'Allemagne ?
Eric-André Martin : Pour cela, il faut impérativement que les deux pays définissent une voie et une réponse commune, notamment sur le plan politique, économique, sur la façon dont ils vont soutenir l'Ukraine, qu’ils puissent fixer des objectifs et définir quelles sont leurs lignes rouges. Aujourd'hui, tout cela n’est pas défini de manière commune puisque le chancelier allemand est extrêmement réticent à offrir toute perspective d'implication des Allemands, quand la France est très largement en retard par rapport à l'Allemagne sur le niveau de l’effort financier au profit de l’Ukraine.
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