L’aviation, clé de la percée russe dans le Donbass
La cadence effrénée des attaques aériennes semble avoir contribué au récent recul des forces ukrainiennes sur le front du Donbass, dans l’est du pays. Trois mois après le début de l’invasion de l’Ukraine, les forces aériennes russes intensifient leurs opérations.
L’augmentation des sorties et le recours à de nouvelles tactiques pourraient avoir joué un rôle crucial dans la percée effectuée par l’armée russe, depuis la mi-mai, dans l’est du Donbass, au niveau de la ville de Popasna.
De nombreuses images diffusées par le ministère de la défense russe, la télévision d’Etat ainsi que des vidéos postées sur les réseaux sociaux russes montrent des tirs de roquettes et de missiles guidés depuis des Su-25 [avions d’attaque au sol] et des hélicoptères d’attaque contre les lignes de défense ukrainiennes, sur toute la ligne de front entre Donetsk et Sloviansk. Des images montrent aussi l’usage de plus en plus fréquent de drones suicides KUB, commandés à partir de drones ZALA, contre des positions ukrainiennes.
L’aviation militaire russe, pourtant dix fois supérieure à son équivalente ukrainienne, avait échoué jusqu’ici à prendre le contrôle intégral du ciel, faute d’avoir pu éliminer le danger représenté par la défense antiaérienne ukrainienne. Au 30 mai, la Russie a perdu 29 avions, 42 hélicoptères et 79 drones. Soit près de trois fois les pertes de l’aviation ukrainienne qui, malgré son infériorité numérique et l’âge moyen plus élevé de ses appareils, est loin d’avoir été anéantie.
- « L’aviation a probablement joué un rôle important dans la percée effectuée dans le Donbass », explique Jean-Christophe Noël, chercheur au Centre des études de sécurité de l’IFRI. « D’un rythme de 250 sorties par jour, on est passé à une cadence de 400 sorties. Il s’agit de procéder à des frappes d’interdiction, avec des bombes qui écrasent tout. Le rôle de l’aviation, dans ce cas de figure, double celui de l’artillerie. C’est une arme de saturation et non de précision. Avec leurs salves de roquettes de 122 millimètres, les Su-25 vont raser toute une zone et faire de gros dégâts », indique l’expert.
Ecraser l’adversaire sous un déluge de feu
Sur une chaîne Telegram, un pilote de Su-25 russe, qui se présente comme « Ivanovitch », a diffusé la vidéo d’une attaque et décrit la manœuvre consistant à tirer une salve de roquettes : « D’une hauteur de 200 à 250 mètres, j’ouvre le feu, je quitte le piqué à une altitude de 20 à 25 mètres et je change de régime moteur pour générer une accélération maximale jusqu’à une vitesse de 900 à 950 kilomètres à l’heure. C’est pour éviter les ennuis, car l’ennemi va certainement me tirer dans le derrière avec un Stinger [missile guidé de fabrication américaine]. »
L’Ukraine a reçu un nombre important de Manpads, ces systèmes portatifs de défense aérienne (ou missiles sol-air) de type Stinger. Le pays dispose aussi d’un très vaste arsenal de systèmes portatifs soviétiques Igla, qui sont la hantise des pilotes d’avions et d’hélicoptères volant à basse altitude.
- « Comme les Russes ont encaissé des pertes importantes au début du conflit, ils sont désormais plus prudents et prennent soin de tirer à la plus grande distance possible des lignes ennemies », poursuit M. Noël. « Le Su-25 est le cheval de bataille de l’aviation russe. Cet appareil est un véritable “camion à bombes”. »
La tactique russe reste basique et consiste, comme durant la seconde guerre mondiale, à écraser l’adversaire sous un déluge de feu, afin de percer des brèches dans lesquelles des colonnes de blindés vont aussitôt s’engouffrer. Contrairement à la doctrine occidentale, les Russes se contentent d’affirmer très localement leur supériorité aérienne. C’est une méthode éprouvée en Afghanistan, puis en Syrie.
Les aéronefs russes doivent aussi prendre garde à ne pas tomber sous le « feu ami » de leur propre artillerie.
- C’est pourquoi, selon M. Noël, « lorsque l’aviation de Moscou passe à l’attaque, les tirs d’artillerie sont remplacés par le feu d’armes légères comme des mitrailleuses. Celles-ci obligent les soldats ukrainiens à rester abrités dans leurs tranchées, ce qui les empêche de saisir leurs missiles sol-air pour abattre les avions ».
« L’aspect le plus compliqué du conflit »
Les experts admettent qu’il est très difficile d’évaluer le rôle de l’aviation dans la guerre menée à l’Ukraine par la Russie. « C’est précisément l’aspect le plus compliqué du conflit parce que c’est là où il existe le moins de sources ouvertes d’information », signalait l’expert militaire américain Michael Kofman dans le podcast « War on the Rocks » du 14 mai. Pour lui, il est clair que les Russes ont augmenté leurs sorties aériennes. Mais il observe aussi que « la supériorité aérienne russe sur les champs de bataille du Donbass ne s’est pas transformée en puissance de feu substantielle à cause du déficit de munitions guidées et d’équipages capables de mener des frappes de précision ».
Il n’est pas exclu que l’introduction progressive du drone suicide KUB change la donne en termes de précision. Une vidéo récente montre l’un de ces appareils fondre sur une batterie d’obusiers américains M777 fournis à l’Ukraine courant mai. Le KUB semble rater sa cible de quelques mètres. Une vidéo plus récente montre un autre exemplaire de ce même drone s’écraser au beau milieu d’un commando de neuf soldats ukrainiens, qui semblent tous tués ou au moins mis hors de combat par l’explosion.
L’expert indépendant russe Pavel Luzin reste toutefois dubitatif sur l’efficacité du couple de drones KUB/ZALA. « Les ZALA [fabriqués dans l’Oural] avaient initialement une vocation civile et commerciale. Ils sont entièrement constitués de composants importés. L’armée les a achetés en raison de la pénurie aiguë de drones militaires, qui n’a été compensée ni par les drones israéliens Forpost ni par les drones [russes] Orlan-10. » Selon lui, la tactique russe ne change pas : les percées ne se réalisent qu’au prix de la démolition totale des villes ukrainiennes.
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