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Le Caucase du Sud en rapide recomposition

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chronique parue dans la revue

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En annexant la Crimée en 2014, Vladimir Poutine a mis fin au principe d’intangibilité des frontières en Europe, principe normalement garanti par les grandes puissances, en particulier les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Pour des raisons évidentes, l’attention médiatique se focalise sur la guerre d’Ukraine et sur le conflit israélo-palestinien.

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Thomas Gomart
Thomas Gomart
Mike Chevreuil
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Pour des raisons curieuses, elle se détourne de la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan alors même que les trois théâtres sont profondément imbriqués. Quelle que soit l’issue des affrontements en cours, il est certain que nous allons assister à des modifications frontalières dans les années à venir, modifications qui concernent d’ores et déjà le Caucase du Sud.

Depuis la chute de l’URSS, Arméniens et Azerbaïdjanais se disputent le Haut-Karabakh, une province arménienne rattachée à l’Azerbaïdjan par Joseph Staline en 1921, puis dotée d’un statut d’autonomie deux ans plus tard. Depuis les premiers affrontements en 1988, les deux parties se sont affrontées entre 1991 et 1994, en 2016, en 2020 et en 2023, épisodes sur lesquels revient en détail le dernier ouvrage de Gaïdz Minassian1. Au bilan : plus de 60 000 morts, plus de 150 000 blessés et plus d’un million de réfugiés. Aujourd’hui, Bakou a repris le contrôle de l’enclave et laisse planer une menace sur l’intégrité territoriale de l’Arménie. Compte tenu de sa tradition impérialiste, la Russie postsoviétique n’a jamais cherché à régler le problème mais l’a instrumentalisé au gré de ses intérêts du moment. Son impérialisme se heurte à celui de la Turquie, qui soutient ouvertement Bakou avec l’aide de Tel Aviv, et à celui de l’Iran, qui veille à sa frontière nord. Les États-Unis et l’Union européenne exercent aussi leur influence respective dans une zone de transit, clé pour les approvisionnements énergétiques.

Les trois pays du Caucase – Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan – recherchent, depuis 1991, des modalités d’intégration régionale leur permettant d’échapper aux ambitions de leurs puissants voisins, tout en entretenant des relations tendues. Aujourd’hui, la Géorgie regarde officiellement vers l’Europe bien qu’une partie de sa classe politique soit toujours attachée à la Russie, en dépit de la guerre de 2008. L’Arménie, quant à elle, vient de subir une défaite militaire, qui oblige Nikol Pachinian, son Premier ministre depuis 2018, à chercher de nouvelles garanties de sécurité. L’Azerbaïdjan, dirigé d’une main de fer depuis 2003 par Ilham Aliyev, à la suite de son père, semble en position de force. Ce dernier n’a pas hésité à inaugurer le « Parc des trophées », qui représentent des soldats arméniens sous les traits d’animaux avec des visages pétrifiés.

La Russie s’est abstenue de soutenir l’Arménie, alors même que des troupes russes sont présentes dans le pays. Cette non-intervention est le résultat de l’élection de Pachinian, obtenue grâce à sa dénonciation de la collusion qui pouvait exister entre ses prédécesseurs et Moscou. Pachinian cherche à orienter son pays vers l’Union européenne, à l’instar de la Géorgie. Membre de l’Organisation du Traité de sécurité collective (traité de Tachkent), l’Arménie s’est tournée vers ses « alliés » russe, biélorusse, kazakh, kirghiz et tadjik, sans effet en sa faveur. Il lui faut désormais rechercher des soutiens militaires ailleurs pour prévenir la menace de Bakou.

L’Union européenne devrait accorder beaucoup plus d’attention à cette recomposition car elle concerne également sa propre sécurité. En effet, elle reflète la compétition à laquelle se livrent les puissances occidentales et eurasiennes pour modifier l’ordre international à leur avantage. Le Caucase du Sud est une zone de contact très sensible où s’entremêlent des intérêts contradictoires. Sur un plan géostratégique, il correspond à la distance la plus courte, par voie terrestre, pour relier l’Europe à l’Indo-Pacifique, à condition d’y intégrer l’Iran.

La diaspora arménienne joue un rôle décisif pour l’avenir de l’Arménie qui peut devenir un état failli. Pour des raisons historiques, politiques et stratégiques, Paris est en train de repenser sa relation avec Erevan. Sans le dire, la France attribue son rejet du Sahel aux opérations de déstabilisation de la Russie. De plus en plus engagée dans le soutien à l’Ukraine, elle cherche, sans le reconnaître ouvertement, à affaiblir la Russie. C’est une des raisons de son soutien à l’Arménie.

1 G. Minassian, Arménie-Azerbaïdjan, une guerre sans fin ? Anatomie des conflits postsoviétiques 1991-2023, Passés composés, 2024.
 
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