Le conflit ukrainien peut-il faire évoluer le droit de la guerre?
Armes explosives «à large rayon d’action», missiles à sous-munitions ou encore chimiques causent beaucoup de victimes civiles, mais ne sont pas toujours illégales. Des négociations sont en cours pour en limiter certaines.
Des massacres de civils, des viols, des bombardements indiscriminés, des écoles ou des hôpitaux détruits… L’offensive russe en Ukraine a franchi les limites, fragiles et abstraites, de l’éthique militaire. Des limites légales aussi. Si la guerre semble relever d’abord du rapport de force, elle est en réalité régie par un droit - droit de la guerre ou droit international humanitaire, les deux formules recouvrent le même corpus - censé empêcher les déchaînements de violence. Toutes les armes ne sont pas autorisées. Les prisonniers de guerre doivent être respectés. Les civils doivent être épargnés autant que possible. Les pertes humaines sont tolérées à la condition qu’elles soient «proportionnées» et liées à un «objectif militaire». Tout est question ensuite de définitions. Celles-ci se forgent dans la réalité des batailles.
- «Chaque conflit permet une clarification du droit», souligne Amélie Férey, spécialiste du droit à l’Ifri et auteur d’une note sur l’usage du «lawfare» par les grandes puissances.
Tandis que les combats se poursuivaient en Ukraine, des diplomates d’une soixantaine de pays et des représentants d’ONG débattaient à Genève sous l’égide de l’ONU, début avril, d’un texte visant à limiter l’usage d’armes explosives «à large rayon d’action»: il s’agit de toutes ces armes imprécises qui causent des pertes civiles massives. 90 % des victimes d’armes explosives en zones peuplées sont des civils. Ces armes ne sont pas interdites. Mais depuis 2019, elles figurent à l’agenda d’un cycle de négociation diplomatique. Elles ont été utilisées au Yémen, en Syrie et désormais en Ukraine, comme certains mortiers ou missiles thermobariques.
L’adoption d’un texte a été renvoyée à mai ou juin, le temps pour les parties prenantes de s’entendre notamment sur une formulation pour «limiter» ou «éviter» l’usage de ces armes. «Mais lors des discussions, la situation en Ukraine a été mentionnée par la quasi-totalité des États présents», raconte un participant. «Le contexte a remis le débat au cœur des priorités», pense-t-il. Certains pays réservés, comme la France ou le Royaume-Uni, ont nuancé leurs positions pour aboutir à un accord, en cherchant toutefois à en limiter la portée normative. Les États-Unis ont suivi les discussions sans manifester de volonté de signer. La Russie n’a pas prévu de participer au processus.
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La guerre en Ukraine peut-elle faire évoluer le droit des conflits? La discussion n’est pas que rhétorique. Moscou veille à habiller son intervention d’un paravent de légalité en s’appuyant sur l’article 51 de la Charte des Nations unies, qui autorise le recours de la force dans ces cas exceptionnels. Au sommet mondial des Nations unies en 2005, l’article avait été interprété pour répondre aux questions soulevées par les conflits au Rwanda et au Kosovo. Avec cynisme, Moscou a tenté de renverser l’argument en faveur de son «opération spéciale» prétendument conçue pour sauver les populations russophones d’Ukraine.
- Le discours légaliste russe «s’accompagne d’une volonté assumée de refonte d’un ordre international fondé sur une interprétation jugée inique des règles juridiques. Celles-ci sont présentées comme exprimant non pas des valeurs universelles de justice mais comme étant le vecteur des intérêts des États-Unis et de leurs alliés, estime Amélie Férey. La Russie mobilise le droit dans le cadre de la lutte informationnelle comme élément de discours pour construire sa légitimité et soutenir sa politique étrangère», écrit-elle.
Moscou voudrait imposer de nouvelles façons de faire la guerre, à sa manière.
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