Le dérèglement climatique dans la campagne présidentielle aux Etats-Unis : quelles seraient les conséquences en cas de victoire de Donald Trump ou de Kamala Harris
Comment expliquer que le climat n’a pas été un thème majeur de la campagne ? Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre énergie et climat de l’Institut français des relations internationales (IFRI), est l’invité de ce direct pour répondre à toutes vos interrogations.
Pensez-vous que les Américains sont prêts à faire évoluer leur mode de vie en raison du dérèglement climatique? Même si Kamala Harris est élue, seraient-ils prêts à prendre moins l'avion, moins la voiture...
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Marc-Antoine Eyl-Mazzega : Absolument pas, même si l’on observe un timide changement de pratiques. Les constructeurs automobiles vendent, par exemple, dans les zones urbaines, plus de petites voitures. Ailleurs, le modèle du gros camion pick-up, de la climatisation et de l’avion, pour ceux qui peuvent se le payer, demeure indéboulonnable.
Quel candidat.e pourrait remettre en cause "thé américain way of life" générateur d'un consumérisme effréné ?
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Marc-Antoine Eyl-Mazzega : Ces candidats existent, mais sont complètement marginaux.
Pouvez vous nous en dire plus sur la Californie ? Quel est son poids dans la politique climatique aux USA ? Si Trump est réélu, peut-on imaginer qu'elle négocie seule avec d'autres pays, sans passer par Trump ?
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Marc-Antoine Eyl-Mazzega : Absolument, son poids est considérable dans la mesure où c’est une économie extrêmement puissante. Si vous êtes un constructeur automobile, vous voulez vendre en Californie, immense marché très riche et solvable, donc il faut que vos voitures soient conformes aux standards de l’Etat. Idem pour les banques, etc. L’importance de la Californie est indubitable. Elle a déjà négocié avec d’autres Etats, est représentée à la COP, mais il y a quand même des limites, à la fois constitutionnelles et pratiques. La politique commerciale est fédérale, par exemple. Un Etat fédéré ne peut pas se substituer à la capacité financière fédérale américaine. Et s’afficher avec la Californie pour contourner Washington, dans l’hypothèse d’une présidence Trump, suscitera à n’en pas douter, une volonté de représailles de ce dernier…
Quel est le réel pouvoir de l'administration fédérale dans la définition de nouvelles normes d'émissions automobiles? L'administration Trump avait tenté de mettre fin au pouvoir de la Californie de fixer ses propres standards en la matière. Les constructeurs automobiles auraient-il un intérêt à suivre une possible dérégulation des émissions au niveau fédéral? Ou suivraient-ils plutôt la Californie qui impose des normes en général plus strictes?
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Marc-Antoine Eyl-Mazzega : Les constructeurs automobiles américains vendent en Californie et dans le monde entier. Leur intérêt est d’avoir une image positive, et de ne pas perdre la course technologique, car ils savent qu’à la fin, certains vont disparaître tant le saut technologique, industriel et commercial de la mobilité électrique est important.
Ils devraient donc essayer de rester dans la course, quelles que soient les normes. Bien sûr, ils pourront plus facilement obtenir des dérogations, ou des délais supplémentaires, mais je pense qu’une dérégulation à l’échelle fédérale, comme on peut l’envisager, ne marquera pas l’arrêt de leurs efforts, mais peut-être tout au plus, un décalage, qui peut toutefois être fatal.
Vu la vitesse des transformations en Chine, et l’avancée prise par les acteurs chinois, le moindre relâchement peut encore creuser davantage l’écart. Et en Europe, marché non négligeable, les normes de décarbonation, dans l’ensemble, devraient être maintenues.
Bonjour, Savez vous si les USA ont un projet de relance de leur programme de production d’électricité à partir du nucléaire civil ?
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Marc-Antoine Eyl-Mazzega : Absolument, il est majeur, et vise trois domaines : les petits réacteurs nucléaires modulaires, la non-fermeture de centrales en fin de vie et leur prolongation, la miniaturisation du nucléaire (les microréacteurs), et la fusion. Les Etats-Unis mettent le paquet, et voient aussi grand pour d’autres applications, par exemple, la production d’hydrogène à partir de centrales nucléaires en utilisant leur vapeur.
Sous Biden, deux grands réacteurs ont été terminés sur la centrale de Vogtl, en Géorgie, qui affiche les mêmes retards et surcoûts pratiquement que Flamanville. La renaissance du nucléaire est en cours, également tirée par les acteurs de la tech, qui ont besoin de beaucoup d’électricité bas carbone pour alimenter leurs data centers.
Bonjour. Les positions des deux candidats sont-elles différentes sur le potentiel du solaire aux États-Unis
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Marc-Antoine Eyl-Mazzega : Pas vraiment, ils y sont favorables, à condition que le solaire soit Made in USA et que l’intermittence soit assurée par des centrales à gaz. Les panneaux américains coûtent 30 % de plus que des panneaux chinois. Des usines se construisent, mais certains projets sont à l’arrêt, faute de subventions ou de débouchés. Dans l’ensemble, la croissance du solaire devrait se poursuivre, mais en deçà de son potentiel, car les infrastructures ne suivent pas.
Le programme de Kamala Harris serait-il suffisant pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% d'ici 2030?
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Marc-Antoine Eyl-Mazzega : Absolument pas. Les Etats-Unis devront rapidement résoudre le problème des nouveaux permis pour les infrastructures, renforcer encore davantage les investissements dans les réseaux, développer la mobilité routière propre à grande échelle et devenir plus sobres, ce qui est politiquement impossible. Cela revient à y être taxé de communiste ou d’extrémiste.
Vous dites que "le camp Harris ne souhaite pas mettre l’accent sur cet enjeu, car cela n’aide pas, voire peut desservir", mais n'est-ce pas un sujet pour les plus électeurs plus jeunes ? Est-il impossible de créer une "coalition climat" aux Etats-Unis ?
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Marc-Antoine Eyl-Mazzega : Les électeurs jeunes qui ont voté aux élections européennes en Europe ont en réalité, souvent, voté pour des formations qui ne s’intéressent pas aux enjeux climatiques, où qui les dénigrent. C’est aussi le cas aux Etats-Unis, où les années de mobilisation de la jeunesse ont passé. Les jeunes qui votent sont sensibles à d’autres discours. Le vote des jeunes sera important toutefois, d’où aussi les tentatives de mobilisation de chanteurs ou d’acteurs. On se fait souvent l’idée que les jeunes sont proclimat, puisqu’il s’agit de leur avenir, mais les entrepreneurs politiques leur parlent d’autres sujets, qui vont d’ailleurs souvent à l’encontre de leur avenir. L’univers informationnel est complètement bouleversé, par la démagogie et par la désinformation notamment.
Bonjour, Suite aux deux mandats successifs de J.Biden et D.Trump, quelles ont été les mesures les plus significatives en matière d'environnement ( qu'elles soient positives ou négatives)? J. Biden a t'il vraiment fait mieux que son prédécesseur? Merci !
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Marc-Antoine Eyl-Mazzega : Joe Biden a réintégré l’accord de Paris, il y a eu un effort de développement et de structuration de la finance verte, les fonds alloués à la recherche et développement et au scale up de technologies bas carbone ont augmenté.
L’Infrastructure Bill et l’Inflation Reduction Act (IRA), qui ont obtenu un soutien politique bipartisan, vont dans le bon sens, donc l’on peut considérer que le verre est à moitié plein. Donc oui, il a fait réellement mieux que son prédécesseur, même s’il a aussi continué ce que Donald Trump avait lancé, notamment sur les métaux ou sur le nucléaire.
Mais on a vu des tensions de plus en plus fortes avec les Européens, sur l’IRA, sur les technologies chinoises, sur le commerce, et que ce soit Donald Trump ou Joe Biden, aucune administration n’a jamais tenté de mettre en place des politiques d’efficacité énergétique par exemple, véritable tabou aux Etats-Unis.
Un retour de Donald Trump pourrait créer une incertitude majeure pour les industriels et les investisseurs sur l’avenir de l’IRA et de sa mise en œuvre. Serait-ce une bonne nouvelle pour l’Europe ? Elle pourrait récupérer des investissements, à condition d’être plus attractive (c’est l’enjeu des prochains mois, avec le Clean Industrial Deal) et que le monde ne soit pas davantage déstabilisé. Pas sûr, en revanche, que la France ne parvienne à en tirer parti, car d’autres pays en Europe sont plus stables et attractifs.
Si Trump gagne encore, est-ce que vous vous attendez à un mandat encore pire pour le climat ? C'était il y a 8 ans, et la situation mondiale a empiré, est-ce que lui et son équipe vont être aussi opposés à toute concession ??
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Marc-Antoine Eyl-Mazzega : Malheureusement, oui, il faut craindre le pire. Pour deux raisons : comme vous le soulignez, la situation climatique mondiale s’est encore considérablement dégradée, le monde est désormais sur une trajectoire de réchauffement moyenne de + 3,1 °C et les urgences pour agir sont criantes.
Les Etats-Unis ont toujours été moins engagés que les Européens mais restent une boussole pour de nombreux pays émetteurs, comme la Chine ou l’Inde. Si les Etats-Unis font moins d’effort, alors le risque de relâchement ailleurs est avéré. Et l’on comptait quand même sur des financements américains pour les différents fonds, même si les Etats-Unis n’ont jamais contribué à la hauteur de leur responsabilité et capacité.
La pression en Europe va se renforcer pour instaurer une pause dans les politiques environnementales, qui évidemment risque de déborder sur une déconstruction. De nombreuses entreprises dans le monde vont ralentir leurs efforts de décarbonation, généralement planifiés, mais guère mis en œuvre.
Deux inconnues : comment la Chine réagirait à un tel nouveau retrait américain ? Elle pourrait en profiter pour accaparer la gouvernance du climat, sur la base de son influence sur le groupe des 77, pour montrer qu’elle est une puissance responsable qui agit, et afficher un pic de ses émissions de gaz à effet de serre, en se positionnant comme la championne mondiale des technologies bas carbone. Et elle pourrait chercher à se rapprocher de l’Europe.
Mais il y a d’autres scénarios de conflictualité renforcée où le climat passera à la trappe, car les Etats seront accaparés par les guerres commerciales, et les guerres tout court.
Mais il faut quand même nuancer un peu cette perspective : des entreprises américaines resteront très engagées, des villes, des Etats fédérés. La réalité du marché est que de nombreuses technologies bas carbone font sens économiquement et d’un point de vue sécuritaire, et il y a de nombreux républicains pragmatiques, probusiness, qui considèrent que ces technologies sont bonnes à prendre si elles rapportent de l’argent. Enfin, le nucléaire sera soutenu, ce qui est une bonne chose.
Quel est le poids du président/de la présidente sur les politiques climatiques? Est-ce une compétence fédérale ou liée aux différents états?
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Marc-Antoine Eyl-Mazzega : Les deux. L’administration négocie les accords internationaux, mais les Etats-Unis ont besoin d’un vote du Congrès pour ratifier les traités internationaux, et ne sont, en règle générale, pas partie à de nombreuses conventions ou traités, comme sur la biodiversité, faute d’accord.
L’Etat fédéral a un pouvoir à travers les financements budgétaires, les organismes de régulation, mais le Congrès est donc omniprésent lorsqu’il s’agit de grands plans d’investissement, comme l’Infrastructure Bill et l’Inflation Reduction Act.
Enfin, les Etats ont un pouvoir important également pour donner les autorisations, mettre en œuvre et édicter des normes environnementales. La Californie, par exemple, reste à la pointe et ses normes de pollution sur les véhicules de facto s’appliquent à l’ensemble du pays. Elle a aussi lancé un marché du carbone avec le Québec.
Les démocrates sont considérés comme pro-climat, mais Harris est pour la fracturation hydraulique et les Etats-Unis n'ont jamais produit autant de pétrole que sous le gouvernement Biden. N'est-ce pas contradictoire ?
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Marc-Antoine Eyl-Mazzega : C’est une campagne électorale extrêmement serrée dans laquelle sur ces enjeux, Donald Trump donne le ton, et où les Etats pivots sont des Etats producteurs d’hydrocarbures comme le Texas ou la Pennsylvanie. Si Kamala Harris prenait des positions très proclimat et antihydrocarbures, elle serait battue largement.
Par ailleurs, les démocrates sont aussi des réalistes, ils savent que la richesse américaine repose en partie sur les hydrocarbures, et n’entendent pas laisser au reste du monde la possibilité de produire des hydrocarbures au détriment de l’économie américaine. L’administration Biden a, par ailleurs attribué, beaucoup d’autorisations de forage pétrolier, pour renforcer la sécurité énergétique et économique du pays.
La fracturation hydraulique aux Etats-Unis et comme le nucléaire en France, elle est ultra-répandue et représente la majorité de la production de liquides d’hydrocarbures, donc il serait suicidaire et complètement insensé de la remettre en cause.
Si elle était élue, Kamala Harris mettra sans doute davantage l’accent sur les infrastructures électriques, le renforcement de l’Environmental Protection Agency, les efforts sur les fuites de méthane, la justice climatique. Mais elle ne s’attaquera pas au pétrole, ni au gaz. Reste à voir si elle reviendra sur le moratoire sur l’autorisation de nouvelles usines de liquéfaction.
Bonjour, Vous écrivez (dans la description des programmes "énergies et climat" des deux candidats) que "S’il est élu, Donald Trump annulera les directives prises en faveur des véhicules électriques". N'est-ce pas paradoxal avec le soutien massif d'Elon Musk ?
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Marc-Antoine Eyl-Mazzega : Il y a une vraie interrogation sur le rôle d’Elon Musk et son influence sur les sujets liés à l’espace, à la Chine, à la mobilité routière, aux sujets de la tech.
A l’évidence, Elon Musk voudra que les efforts de soutien liés à l’Inflation Reduction Act se poursuivent, y compris sur le volet minier, pour renforcer la résilience des chaînes de valeur américaines. Il voudra se protéger de la concurrence européenne sur le marché américain des véhicules électriques, même si certains producteurs européens produisent déjà aux Etats-Unis, notamment les Allemands.
Avec la Chine, comme avec la Russie, Elon Musk semble pousser pour un apaisement. Mais entre ce qu’annonce Donald Trump et ce qu’il se passera, il y a un gouffre, en tout cas dans ce domaine. Et on ne sait pas quelles seront les fonctions et les responsabilités d’Elon Musk après l’élection présidentielle américaine, si Donald Trump devait être élu. Sur les enjeux de protectionnisme et d’augmentation des tarifs, les observateurs américains paraissent plus tranchés : il y aura une véritable fermeture de l’économie américaine, avec des impacts significatifs sur le commerce international et sur la croissance économique mondiale.
Certains commentateurs avancent que les effets de l'Inflation Reduction Act (IRA) seront immuables sur le rythme de décroissance des émissions quelque soit le résultat de l'élection : que faut-il en penser ?
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Marc-Antoine Eyl-Mazzega : Les émissions de gaz à effet de serre des Etats-Unis sont en tendance baissière, mais il faut distinguer le CO2 du méthane.
• Les émissions de CO2 baissent car la production d’électricité au charbon s’est effondrée au profit du gaz naturel dans le système électrique, qui dépasse les 40 % désormais.
• Mais les émissions de méthane sont un vrai défi et de nombreuses analyses montrent qu’elles sont sous-estimées. Or le méthane a un pouvoir de réchauffement global largement supérieur au CO2 sur un horizon de vingt ans, de l’ordre de 80 fois.
Merci à toutes et tous pour vos questions, c’est la fin de ce tchat
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