« Le Maroc fait tous les efforts possibles pour attirer le Nigeria dans son camp »
Le royaume est en quête d’alliés africains sur le dossier du Sahara occidental et pour soutenir son entrée dans la Cédéao, explique notre chroniqueur.
La visite d’Etat du président nigérian, Muhammadu Buhari, dimanche 10 et lundi 11 juin à Rabat, a été l’occasion pour le roi Mohammed VI de montrer combien la relation avec la première puissance économique du continent est pour lui déterminante. La multiplication des gestes d’attention envers le chef de la fédération nigériane durant ce séjour en témoigne : le Maroc fait tous les efforts possibles pour attirer ce pays dans son camp.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Les frictions entre le royaume chérifien et l’ex-président Goodluck Jonathan ont été très vives, en particulier lors de la présidentielle de 2015. Depuis le départ de ce dernier, Mohammed VI mise clairement sur Buhari dans le but de faire avancer certains dossiers clés pour son pays : la souveraineté sur le Sahara occidental, l’adhésion à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et l’accroissement des échanges économiques.
A huit mois d’une présidentielle qui s’annonce tendue à Abuja, le Maroc n’a pas d’autre choix que d’accentuer son volontarisme en direction des élites politiques et économiques nigérianes pour maintenir cette récente normalisation des liens.
Une dizaine de partenariats économiques
L’un des axes prioritaires de la politique marocaine en Afrique est de réduire les soutiens continentaux au Front Polisario, qui revendique le territoire du Sahara occidental (sous domination espagnole jusqu’en 1976). Pour ce faire, dès son retour au sein de l’Union africaine (UA) en 2017, le royaume s’est mobilisé pour convaincre les pays soutenant la République arabe sahraouie démocratique (RASD) d’y renoncer.
Contrairement à l’Algérie (principal bailleur de fonds de la RASD) et à l’Afrique du Sud (particulièrement sous Jacob Zuma), tous deux opposés par principe à la souveraineté de Rabat sur la zone, le Nigeria a récemment souhaité jouer un rôle de médiateur sur ce dossier en tant que « grand frère » du continent. Cette position plus conciliante d’un pays qui abrite pourtant une ambassade de la RASD a notamment été le résultat de la visite, en décembre 2016, de Mohammed VI au Nigeria. A l’époque, le roi, venu chercher l’appui du Nigeria pour la réintégration de son pays dans l’UA, avait pour ce faire signé une dizaine de partenariats économiques.
Ce nouveau positionnement du Nigeria a clairement ouvert une brèche pour le Maroc, alors que les grandes puissances du continent lui étaient traditionnellement hostiles sur cette question.
Autre sujet obligeant la diplomatie marocaine à se rapprocher d’Abuja : la candidature de Rabat pour rejoindre la Cédéao, portée au pas de charge pendant toute l’année 2017. Le Maroc espérait que la décision « de principe » prise en faveur de son intégration lors du sommet de la Cédéao de Monrovia, le 4 juin 2017, allait lui permettre de rentrer dans l’organisation sous-régionale. Mais en décembre, le Nigeria a donné un coup d’arrêt, au moins temporaire, à cette ambition. Une commission de chefs d’Etat ouest-africains planche depuis lors sur la faisabilité de cette candidature.
Si les difficultés juridiques, notamment liées à l’agrandissement de l’espace Cédéao, sont souvent évoquées en interne pour empêcher le Maroc d’y rentrer, Abuja a surtout cédé à la pression d’hommes d’affaires proches de la présidence qui craignent que les produits marocains ne viennent concurrencer les leurs.
Un gazoduc de plus de 5 000 km
La Maroc s’attache pourtant depuis deux ans, et au-delà du seul président Buhari, à intensifier les échanges avec les élites politiques et économiques nigérianes. Sachant pertinemment que Buhari ne sera plus là après 2023 en cas d’obtention d’un deuxième mandat en février 2019, le royaume doit séduire plus largement les lobbyistes locaux, hommes politiques et hommes d’affaires. Pour ce faire, deux stratégies concomitantes sont suivies depuis le séjour de Mohammed VI à Abuja.
D’abord, la mise en place de projets économiques qui engagent les deux parties sur le long terme. C’est le cas notamment avec l’Office chérifien des phosphates (OCP), qui souhaite investir massivement dans une usine d’ammoniac au Nigeria, ou avec le gazoduc reliant le Nigeria au Maroc pour rejoindre l’Europe. Cette infrastructure de plus de 5 000 km a fait l’objet de nombreux accords entre les deux sociétés d’Etat NNPC et Onhym. Cependant, sa faisabilité est encore loin de faire consensus. Le manque de stabilité de la production gazière dans la zone du delta du Niger dû aux récentes rébellions a empêché les centrales électriques locales de fonctionner en continu. D’autre part, le gazoduc déjà existant entre le Nigeria et le Ghana (West African Gas Pipeline) n’a jamais été approvisionné au volume contracté.
Le Maroc mise aussi sur la venue sur son territoire d’hommes d’affaires et d’hommes politiques nigérians, afin de les convaincre de sa politique africaine. Le cas le plus emblématique est celui du président du Sénat, le puissant Bukola Saraki, qui s’est rendu en mars 2017 au Forum de Crans Montana, à Dakhla, au Sahara occidental. Le gain politique de cette visite n’a pas forcément été au rendez-vous, Saraki étant depuis 2015 en conflit régulier avec le président Buhari. Cependant, cette visite a fait sauter une digue et a montré la capacité d’attraction du Maroc, y compris sur un territoire où, il y a encore quelques années, aucun responsable nigérian de haut rang n’aurait osé mettre les pieds.
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