Le Royaume-Uni en quête de stratégie
En juin 2016, les Britanniques ont décidé de quitter l'Union européenne (UE). En décembre 2020, les deux parties ont signé un accord de « commerce et de coopération », au terme d'un processus qui a bouleversé la vie politique outre-Manche.
Un slogan n'a jamais fait une stratégie. C'est pourquoi, la communauté stratégique britannique s'active pour donner corps au nouveau positionnement international du Royaume-Uni. En mars 2021, le 10 Downing Street a publié un document – « Global Britain in a competitive age. The Integrated Review of Security, Defence, Development and Foreign Policy » – destiné à devenir la feuille de route post-Brexit. Outre son poids économique, six capacités principales contribuent au rayonnement du pays : défense, cybersécurité, technologie, développement, climat et culture. Au-delà des déclarations d'intention, cinq points méritent d'être relevés en raison de leurs conséquences pour la France, qui apparaît après les États-Unis et devant l'Allemagne, l'Irlande et l'Italie dans les priorités diplomatiques de Londres. L'OTAN et les Five Eyes (États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande) sont présentés comme les alliances clés.
Premièrement, le Royaume-Uni affirme sa volonté de contribuer à la « stabilité et à la sécurité » au niveau global et dans la zone euro-atlantique, tout en cherchant à être actif dans l'Indo-Pacifique. Deuxièmement, la Russie est présentée comme « la menace la plus aiguë ». Troisièmement, le Royaume-Uni présente le Grand Nord comme une région dans laquelle il se tient prêt à intervenir. Quatrièmement, le document britannique de mars souligne l'importance de disposer d'un système de sanctions autonome, qui permet de geler des actifs et d'interdire de séjour. Cinquièmement, ce document affiche des ambitions spatiales nationales.
Depuis 2010, Paris et Londres sont liés par les accords de Lancaster House, qui portent sur le développement et l'emploi des armes nucléaires, ainsi que sur le déploiement des forces armées et les transferts de technologie. Membres permanents du conseil de sécurité des Nations unies, les deux pays partagent des visions du monde relativement proches. Cependant, avec l'opération Barkhane (depuis 2014), la France est aujourd'hui davantage impliquée en Afrique subsaharienne. Point plus sensible, la Russie vers laquelle Emmanuel Macron tente une politique de rapprochement depuis 2017. Il est trop tôt pour apprécier la portée des ambitions spatiales britanniques, qui pourraient bien venir perturber les acteurs européens de ce domaine. Une coopération franco-britannique dans l'Indo-Pacifique est souvent envisagée.
Comme il se doit, les ambitions affichées par le 10 Downing Street suscitent de vives critiques d'une partie de la communauté stratégique britannique en raison, d'une part, de la nostalgie impériale qui semble les motiver et, d'autre part, des moyens limités dont dispose en réalité le Royaume-Uni. Il est en effet frappant de constater à quel point il a dû réviser ses orientations stratégiques au cours de la dernière décennie. En ce sens, le Brexit a eu pour principal effet d'accentuer l'asymétrie de Londres avec Washington et avec Pékin. En 2005, British Telecom (BT) signait un contrat de plusieurs milliards avec Huawei, l'équipementier chinois, lui ouvrant ainsi le marché européen. À l'été 2020, sous la pression de Washington, Londres était le dernier membre des Five Eyes à écarter officiellement Huawei pour la 5G. En outre, la répression à Hong Kong a fortement tendu les relations entre Londres et Pékin. En soulignant que les États-Unis resteraient « l'allié et le partenaire stratégique le plus important » du Royaume-Uni, ce document acte l'alignement de Londres sur Washington au moment où les Nord-Américains cherchent à faire pivoter leur système d'alliances contre la Chine.
> Cette chronique est parue dans la revue Études
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