Les élections européennes à la roulette russe
Du 23 au 29 mai 2019, plus de 300 millions d’Européens vont élire leurs représentants au Parlement pour un mandat de cinq ans. Ces élections interviennent dans un climat de défiance à l’égard de la construction européenne et de poussée des forces politiques ouvertement hostiles à sa continuation.
Quatorze ans après le rejet par referendum du traité établissant une Constitution pour l’Europe par la France et les Pays-Bas et à la veille d’un Brexit dont les termes restent à ce jour inconnus, l’Union européenne (UE) est, une nouvelle fois, à la croisée des chemins.
Emmanuel Macron a lancé la campagne par une double opération de communication politique. Le 3 mars, il a donné un entretien à la télévision publique italienne en qualifiant de « péripéties » ses différends récents avec Matteo Salvini et Luigi Di Maio, qui n’avaient pas manqué de s’inviter dans la crise des Gilets Jaunes. Le 4 mars, Emmanuel Macron a publié une tribune dans tous les pays de l’UE, mais aussi aux Etats-Unis, en Chine et en Russie, intitulée « Pour une renaissance européenne » qui s’adressait aux « citoyens d’Europe ». Le même jour, le Parti populaire européen (PPE), principal groupe politique du Parlement sortant, lançait la procédure d’exclusion de Viktor Orban et de son parti Fidesz à la suite d’une campagne publicitaire montrant les visages de MM. Soros et Juncker accompagnés d’un texte indiquant : « Ils veulent instaurer le quota de réinstallation obligatoire [des migrants], affaiblir les droits des Etats membres à défendre leurs frontières ; faciliter l’immigration au moyen d’un visa de migrant ». Tête de liste « Les Républicains », François-Xavier Bellamy a déclaré regretter « profondément la division qui a lieu aujourd’hui au sein du PPE ».
Sur le plan politique, une chose apparaît clairement à la faveur de cette campagne : une délimitation de plus en plus floue entre espace public national et espace public européen, entre les affaires du dedans et celles du dehors. Il est frappant de constater à quel point nous suivons désormais la vie politique de nos partenaires, et réciproquement, tout simplement parce que nous sommes confrontés aux mêmes défis. Paradoxalement, c’est le signe d’une conscience commune partagée, mais aussi de profondes divisions sur le sens à donner au projet européen. En réalité, trois grandes démocraties européennes – France, Royaume-Uni et Italie – traversent une crise politique aiguë. En Allemagne, l’AfD a fait son entrée au Parlement, événement encore inimaginable il y a cinq ans, tout comme Vox en Espagne. L’article 7 des traités de l’Union a été invoqué contre la Pologne et la Hongrie, qui se présentent ouvertement comme des démocraties illibérales. Au nord de l’Europe, le fameux modèle scandinave rencontre lui aussi des difficultés en matière d’intégration. Les relations avec les Etats-Unis de Donald Trump se sont fortement dégradées, tout comme celles avec la Russie de Vladimir Poutine et la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. Dans le discours, les dirigeants chinois accordent la plus grande importance à l’UE comme contrepoids aux Etats-Unis, tout en exerçant une influence diplomatique et économique en Europe de plus en plus intrusive. Telle est la situation stratégique.
Dans ce double contexte, l’enjeu ne consiste certainement pas à accentuer les cassures au sein de l’Europe, mais à comprendre sa place dans un monde, qui évolue de moins en moins à son image. Pour ce faire, il faut effectivement se prémunir contre les différentes formes d’ingérences extérieures sans pour autant leur attribuer la contestation sociale et les divisions politiques actuelles. Elles sont le produit de nos systèmes ouverts et d’une relativisation du poids géoéconomique de l’Europe sur la scène internationale. Il faut surtout comprendre que l’UE, qui s’est construite sur la règle de droit et la réglementation à outrance, va devoir rompre avec « la dépolitisation », sa marque de fabrique, si elle veut être en mesure d’exister face aux principaux acteurs internationaux. Sur ce point, la lecture du livre de Luuk Van Middelaar s’avère bien utile[1]. Dans ses Souvenirs, Alexis de Tocqueville (1805-1859) constatait : « Au dehors comme au-dedans, nos plus grands obstacles venaient moins de la difficulté des affaires que de ceux qui devaient les conduire avec nous (…) ». Rien de nouveau en Europe si ce n’est qu’elle n’est plus le centre de la scène internationale.
[1] Luuk Van Middelaar, Quand l’Europe improvise, Dix ans de crises politiques, Paris, Gallimard, 2018.
Lire la chronique sur le site de la revue Études
Pour aller plus loin, lire l'étude collective de l'Ifri Élections européennes 2019 : les grands débats, sous la direction de Thomas Gomart et de Marc Hecker, février 2019.
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