Les États-Unis de Donald Trump à l’heure des élections de mi-mandat
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Questions à Laurence Nardon, directrice du programme Amérique du Nord de l’Institut français des relations internationales (IFRI).
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Au début de votre nouveau livre, Les États-Unis de Trump en 100 questions, vous rappelez le rôle très important joué par Andrew Jackson dans l’histoire américaine. Pourquoi ?
Andrew Jackson (1767-1845), qui fut président de 1829 à 1837, est la première incarnation du populisme aux États-Unis, représentant d’une part le peuple contre les élites et d’autre part le droit des États fédérés contre le système fédéral – dont on craignait qu’il ne gouverne tout depuis Washington.
Héros de la seconde guerre contre l’Angleterre – quand celle-ci a voulu prendre sa revanche entre 1812 et1815 –, il négocia un traité de réparation assez dur avec la France, à la suite des saisies de navires américains lors des guerres napoléoniennes. Il s’attacha à défendre les États et refusa la mise en place d’une banque centrale.
En quoi Donald Trump est-il son héritier ? En quoi s’en distingue-t-il ?
Donald Trump a fait accrocher le portrait du président Jackson dans le bureau ovale dès son arrivée. Pendant toute sa campagne, il a défendu des thèses populistes, notamment en politique étrangère, affirmant que les États-Unis n’avaient pas à porter le bien partout dans le monde, ce qui avait pourtant été le credo de grands présidents américains depuis la Première Guerre mondiale.
Vous signalez pourtant que les nationalistes ont gagné en influence dès le début des années 2000…
Les néoconservateurs, que l’on a vus à l’œuvre lors de l’invasion de l’Irak en 2003, voulaient débarrasser le monde de ses tyrans, puis déployer partout la démocratie. Mais une fois la victoire contre Saddam Hussein acquise, ils se sont fait doubler par les nationalistes qui se trouvaient aussi dans l’entourage du président Bush (en particulier Dick Cheney) et qui leur ont coupé l’herbe sous le pied en prétendant que l’avènement de la démocratie en Irak aurait coûté trop cher aux États-Unis. On peut dire que Donald Trump est le disciple de ces nationalistes. Mais il se distingue d’Andrew Jackson par le fait que son programme a été brouillé par d’autres influences. Au début de son mandat, des conseillers « raisonnables » l’ont encouragé à respecter les règles traditionnelles de la diplomatie internationale.
Ainsi Donald Trump a-t-il pu déclarer que l’OTAN n’était pas si mal, et décidé de laisser des troupes américaines en Afghanistan. Mais, depuis 2018, il subit une influence contraire : John Bolton, son nouveau conseiller pour la Sécurité nationale, pense qu’il faut faire la guerre à tout le monde.
Le tempérament du président joue son rôle…
Les personnes qui ont rencontré Trump, tout comme le large groupe de psychologues qui le regardent de loin, concluent qu’il souffre de troubles narcissiques de la personnalité. Le président pense, comme les enfants de moins de cinq ans, que le monde tourne autour de lui. C’est un homme agressif, qui ne met pas de filtre à ses impulsions. Mais, en présence d’autres dirigeants politiques, y compris de ceux qu’il critique par ailleurs, il peut devenir obséquieux parce qu’il veut être aimé.
Est-il un dirigeant comparable à des leaders de l’extrême droite européenne ?
On ne se rend pas compte de la nature des idées de Trump parce qu’il n’a pas une pensée très articulée. Mais il a des convictions résolues, constantes, sur au moins deux points : la fermeture de son pays à l’immigration et au commerce, qui sont les mêmes que celles de Marine Le Pen. Le populisme économique de Trump est également porté par une partie de la gauche : aux États-Unis par Bernie Sanders, en France par Jean-Luc Mélenchon. Il faut quand même reconnaître qu’en Europe et aux États-Unis les classes moyennes ont été victimes de la mondialisation.
Considérez-vous que certains dirigeants politiques modérés ont involontairement contribué à la victoire de Donald Trump ?
Absolument. Pendant très longtemps, la doxa économique a fait croire que la mondialisation allait bénéficier à tout le monde. On se rend compte que cette politique a nui directement aux cols bleus, les travailleurs industriels membres de la classe moyenne peu diplômée. Le parti démocrate et notamment le courant clintonien, modéré, centriste, porte une part de responsabilité dans cette évolution. Elle est coupable d’avoir pris le relais de Reagan pour conduire une politique économique d’un libéralisme excessif, marqué par la dérégulation, une fiscalité favorable aux riches, la financiarisation de l’économie.
Dans le même temps, les présidents Clinton et Obama (celui-ci dans une moindre mesure) ont masqué cette politique égoïste derrière une batterie de mesures et de propositions favorables aux minorités ethniques et sexuelles. Ces changements ont voilé leur politique désastreuse sur le plan social et quand les chômeurs de la région des Grands Lacs venaient se plaindre, on les traitait de racistes. L’élection de Trump est le résultat de la surdité de ces dirigeants.
Quels sont, selon vous, les contrepoids efficaces ?
Je suis partagée entre deux points de vue. D’une part, la démocratie américaine est sans doute l’une des plus solides. Elle est la seule à fonctionner avec une Constitution rédigée à l’époque des Lumières. Ses institutions ont été conçues pour que le pouvoir arrête le pouvoir, avec une société civile très dynamique, une population très impliquée. Donc, s’il est un pays où la démocratie peut survivre, cela doit être les États-Unis. Maintenant, je crois que le monde est menacé par un mouvement de balancier qui nous conduit vers le populisme, l’autoritarisme. L’importance toujours plus grande attribuée à la majorité en est le signe.
En quoi est-ce une menace ?
En démocratie, c’est celui qui dispose du plus grand nombre de voix qui exerce le pouvoir, mais ceux qui n’ont pas voté pour lui ne doivent pas être inquiétés pour leurs opinions. Or, de nos jours, le culte de la majorité, excessif, dénature le concept de démocratie.
Les contre-pouvoirs (la presse, les juges) sont considérés comme illégitimes à s’exprimer. C’est ce qui se passe aux États-Unis. Quand Donald Trump dit que la presse est un ramassis d’affreux, on est dans un dévoiement de la démocratie.
Propos recueillis par Frédérick Casadesus
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