Rechercher sur Ifri.org

À propos de l'Ifri

Recherches fréquentes

Suggestions

Les Etats-Unis et l'Europe face à la montagne chinoise

Interventions médiatiques |

citée par Antoine d’Abbundo et Céline Schoen, dans

  La Croix
Accroche

Comment contrer le dumping chinois ? De façon musclée, comme l’a promis Donald Trump ? Ou en finesse, comme le propose la Commission européenne ?

Contenu intervention médiatique

Face à une mondialisation de plus en plus contestée, la tentation protectionniste n’a jamais semblé aussi répandue au sein des opinions publiques occidentales. En Europe, elle nourrit la montée des extrêmes et l’opposition aux traités de libre-échange – le Ceta avec le Canada, le Tafta avec les États-Unis. Outre-Atlantique, elle triomphe avec l’élection de Donald Trump, ce candidat qui a promis de « rendre sa grandeur à l’Amérique ».

Sensibles aux inquiétudes manifestées par leurs électeurs, les dirigeants européens et américains sentent la nécessité d’agir. Au risque de déclencher une guerre commerciale avec la Chine ?

À Washington, trois motifs de colère

Durant la campagne qui a conduit à son élection comme président des États-Unis, Donald Trump a utilisé l’arme lourde… au moins verbalement. « S’il appliquait son programme consistant à “déchirer” les accords existants, imposer des droits de douane punitifs de 45 % aux produits chinois et se retirer de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les conséquences seraient presque apocalyptiques », prévient Sébastien Jean, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii).

Ce scénario du pire n’est pas certain, mais il n’est pas improbable, tant les contentieux entre les deux pays se sont accumulés ces derniers temps. « Le premier porte sur le colossal excédent commercial chinois – de l’ordre de 350 milliards de dollars par an – qui aurait coûté entre deux et trois millions d’emplois aux États-Unis en vingt ans », précise François Godement, directeur du programme Asie et Chine au Conseil européen des relations internationales (ECFR).

Une deuxième source de tension tient à la politique monétaire de la Chine, soupçonnée de maintenir artificiellement bas le cours du renminbi, la « monnaie du peuple », pour favoriser ses exportations. L’accusation a été reprise sans nuance par Donald Trump durant sa campagne. Il a parlé de « manipulation » et a menacé de mettre Pékin à l’index dès son premier jour de mandat, sans préciser de quelle manière.

« Mais le principal reproche concerne les pratiques jugées déloyales de la Chine, qui continue de subventionner des secteurs industriels en surcapacité et qui inonde les marchés étrangers de produits à prix cassés, comme c’est le cas avec l’acier », ajoute Françoise Nicolas, de l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Cette situation avait d’ailleurs conduit l’administration Obama à multiplier les procédures contre la Chine et à relever drastiquement ses droits de douane, jusqu’à 250 % pour certains produits sidérurgiques. « Donald Trump promet d’aller plus loin, en s’affranchissant au besoin des règles de l’OMC qui ont permis jusque-là de gérer les tensions », précise Françoise Nicolas.

« D’où l’inquiétude que suscite une présidence qui voudrait en finir, sur le plan commercial comme sur le plan géostratégique, avec le multilatéralisme. Et remplacer la négociation diplomatique par la politique du coup de menton », ajoute François Godement.

Mais l’imprévisible Donald Trump mettra-t-il ses menaces à exécution ? Laurent Weill, professeur à l’École de management de Strasbourg, veut croire que le pragmatisme du président l’emportera sur les velléités d’en découdre du candidat.

« Surtaxer les produits chinois serait suicidaire. Les chaînes de production sont tellement interdépendantes que punir la Chine revient à pénaliser les entreprises américaines qui s’approvisionnent sur ce marché », explique-t-il.

« Sans parler de l’impact négatif qu’aurait une telle mesure sur le pouvoir d’achat des ménages, notamment des plus modestes, grands consommateurs de biens “made in China” », ajoute Françoise Nicolas. La Chine fournit, par exemple, 79 % des chaussures vendues aux États-Unis.

À Bruxelles, l’urgence d’un compromis

L’Union européenne aussi est fortement liée à la Chine. Ces deux zones commerciales échangent chaque année pour plus de 400 milliards d’euros de biens. La balance commerciale penche du côté de Pékin et l’UE doit également faire face aux pratiques de dumping dont l’empire du Milieu est coutumier.

Là encore, l’acier est au centre du différend : sur les 40 mesures de défense commerciale prises par la Commission sur des importations sidérurgiques, près de la moitié visent des produits chinois. La dernière en date concerne les tubes sans soudure auxquels s’appliquent des droits de douane de 43,5 % à 81 % après que l’enquête de Bruxelles a prouvé qu’ils étaient vendus à perte en Europe.

Selon les règles de l’OMC, l’Union européenne peut légitimement se protéger en appliquant une surtaxe au produit importé pour réajuster son prix. Or elle le fait en appliquant la règle dite « du droit moindre », une pratique qui consiste à rehausser le tarif douanier au niveau minimal pour compenser le préjudice, ce qui n’est pas toujours suffisant pour dissuader la Chine de pratiquer le dumping.

D’autres pays – notamment les États-Unis – choisissent un mode de calcul plus pénalisant, ce qui explique que les taxes antidumping imposées par Washington à la Chine soient bien plus élevées que celles adoptées par les Européens. « L’UE essaye désespérément de se protéger et de ne pas donner du grain à moudre aux populistes », souligne Jean-Vincent Brisset, de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Mais elle apparaît encore trop divisée et frileuse. Depuis trois ans, les ministres du commerce de l’UE tentent sans succès de s’entendre sur un aménagement de la règle du droit moindre. Or l’urgence de renforcer les instruments de défense commerciale se fait désormais pressante.

Le 11 décembre, en effet, quinze ans après l’accession de la Chine à l’OMC, l’UE devra dire si elle reconnaît à ce pays le statut d’économie de marché. Derrière cette question juridique se cache un enjeu économique majeur : dire « oui » reviendrait à renoncer, peu ou prou, à se défendre contre la Chine.

Pour contourner l’obstacle, la Commission a mis sur la table, le 9 novembre, une proposition de nouvelle méthode de calcul du dumping basée sur le principe du « pays analogue ».Un système qui permettrait de traiter la Chine comme n’importe quel pays comparable en cas de soupçon de « distorsion de marché », ce qui rendrait plus supportable, espère Bruxelles, le refus de lui accorder le statut d’économie de marché.

À Pékin, la menace de « représailles »

Face à la double offensive de l’Europe et des États-Unis, la Chine n’entend pas rester les bras croisés. « La nouvelle réglementation antidumping proposée par l’UE n’est pas conforme aux règles de l’OMC », a déjà fait savoir le ministère chinois du commerce.

Une manière encore polie d’adresser une fin de non-recevoir au compromis proposé par Bruxelles. Car en cas de désaccord persistant, Pékin pourrait faire valoir des arguments plus percutants. « Quand l’UE décide de mesures antidumping sur des vis chinoises, le dossier remonte jusqu’au ministre. Les autorités attachent une attention extrême à créer un rapport de force en leur faveur », souligne François Godement.

Face aux États-Unis, la Chine dispose d’un moyen de pression potentiellement redoutable en tant que principal pays créancier, puisqu’elle détient déjà 1 157 milliards de dollars sur la dette américaine, soit 7 % du total. « Mais c’est une arme à double tranchant, car la Chine n’a aucun intérêt à voir baisser la valeur des bons du Trésor américains. Et quand bien même la Chine déciderait de ne plus en acheter, les États-Unis n’auraient aucun mal à trouver de nouveaux financiers », décrypte Laurent Weill.

En revanche, la menace de représailles via une hausse des droits de douane paraît plus crédible. « En 2009, lorsque les États-Unis ont porté la taxe sur les pneus chinois à 35 %, Pékin a répliqué trois mois plus tard en surtaxant les poulets importés des États-Unis, portant un coup rude à la filière volaille américaine », raconte Sébastien Jean.

Là encore, l’épisode montre bien qu’en cas de confrontation brutale tout le monde finit par y perdre. « Voilà pourquoi on peut penser que les milieux d’affaires, très influents au Congrès dominé par le Parti républicain, s’efforceront de ramener Donald Trump à plus de raison. Et que celui-ci saura mettre de l’eau dans son vin », ajoute Françoise Nicolas.

Pour l’heure, la Chine peut se réjouir de l’annonce faite lundi dernier par Donald Trump. Le président a confirmé qu’au premier jour de sa présidence il engagerait le retrait des États-Unis du traité commercial transpacifique (TPP). Or ce traité, signé en 2015 par 12 pays, avait été conçu par l’administration Obama comme un instrument pour contrer l’influence de la Chine dans la région. L’annonce de son abandon fournit l’occasion pour Pékin de se replacer au centre du jeu en poussant son propre projet d’accord de libre-échange avec 10 pays du Sud asiatique… mais sans les États-Unis.

« Face à l’Europe, la Chine pourrait également réagir en imposant des tarifs punitifs à certains pays membres et pas à d’autres, comme une manière de diviser pour mieux régner », avertit Jean-Vincent Brisset. L’Union européenne n’a plus que quelques jours devant elle pour montrer qu’elle n’est pas dupe en affichant son unité.

----------------------------

Comment fonctionne l’OMC ?

Les pays ou entités membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont les États-Unis, l’Union européenne et la Chine, acceptent de se soumettre aux règles communes qui visent à favoriser autant que possible la liberté des échanges.

Le premier principe est celui de l’égalité de traitement selon la clause dite « de la nation la plus favorisée ». Sauf exception, si un pays accorde un avantage à un autre, il doit l’accorder à tous les membres de l’OMC.

S’agissant des tarifs douaniers, chaque pays fixe, produit par produit, un plafond de droits, dit « taux consolidé ».

En cas de litige, l’affaire est portée devant l’organe de règlements des différends de l’OMC, qui vérifie que les pratiques sont conformes aux engagements. Dans le cas contraire, il demande la mise en conformité. À défaut, le pays lésé peut appliquer des « représailles » commerciales.

Chaque pays membre détermine librement ses instruments de défense commerciale et les critères qui permettront d’accorder ou non à un pays le statut d’économie de marché, mais dans le respect des règles des accords internationaux.

Antoine d’Abbundo et Céline Schoen (à Bruxelles)

 

Lire l'article sur le site de LaCroix.com

 

Decoration

Média

Partager

Decoration
Auteurs
Photo
Françoise NICOLAS

Françoise NICOLAS

Intitulé du poste

Conseillère au Centre Asie de l'Ifri