Les manifestations antifrançaises obligent Emmanuel Macron à encore repenser sa stratégie au Sahel
L’Elysée va devoir trouver les moyens de rendre plus acceptable la présence militaire tricolore alors que le ressentiment monte contre l’ex-puissance coloniale dans plusieurs pays de la région. La tâche s’annonce ardue.
Près de dix ans après le déclenchement de la guerre contre le terrorisme au Mali, les actes d’hostilité se multiplient contre la présence française au Sahel. Les accès de colère contre les forces tricolores ont aussi gagné le Niger et le Burkina Faso. Un phénomène qui se manifeste de manière de plus en plus récurrente, comme samedi au Tchad. Lundi le conseil militaire de transition du pays a condamné les violences. Paris devrait encore davantage faire évoluer sa stratégie sahélienne à l’heure du second mandat d’Emmanuel Macron.
A Abéché, au Tchad, la représentation consulaire française et la stèle du soldat inconnu ont été saccagées samedi alors que des stations Total étaient vandalisées dans la capitale N’Djamena. La veille, dans les rues de Bamako, les partisans de la junte avaient défilé pour apporter leur soutien au pouvoir de transition et repris leur slogan « A bas la France ». Des drapeaux russes ont été brandis dans les rues des deux pays. Pourtant, a contrario du Mali, les autorités de transition tchadiennes ont maintenu un partenariat militaire actif avec la France.
« Les manifestants ont répondu à l’appel de Wakit Tamma, organisation de la société civile, pour dénoncer le soutien de la France au Conseil militaire de transition au Tchad, confie Djimet Wiche Wahili, directeur de publication d’Alwihda Info. Mais il y avait aussi des anciens cadres du pouvoir qui défendent les arabophones dans l’administration, des organisations syndicales, des militants pro-russes. Chacun avait son propre agenda ». Chez les Transformateurs, parti d’opposition de Succès Masra, on suspecte le pouvoir d’avoir instrumentalisé la manifestation afin de se rappeler au bon vouloir de Paris, qui demande actuellement l’ouverture du jeu démocratique.
Quel que soit le cas de figure et l’éventuelle proximité avec le pouvoir en place, la France se trouve devant une impasse au Sahel. Ce qui rend difficile la réorganisation de son dispositif militaire avec le départ des soldats Barkhane du territoire malien au moment où une partie des populations souhaitent renforcer les liens militaires avecla Russie. «Nous nous sommes focalisés sur la lutte antiterroriste et n’avons jamais vraiment répondu aux attentes des dirigeants maliens sur la question touareg, la sécurisation dans le centre du pays et la stabilisation de leur pouvoir, admet une source militaire française. II n’est pas étonnant que la junte se soit tournée vers la Russie. »
Ligne rouge. En d’autres termes, les Maliens ne souhaitent plus qu’on leur impose le menu. Ils veulent choisir leurs plats à la carte et cherchent auprès d’autres partenaires (Russie, Turquie, Chine), ce dont ils ont besoin. Ces puissances leur apportent un soutien politique, presque en toutes circonstances, que la France a fourni des indépendances au début des années 1990 sous le concept de «Pax Gallica ». Ce modèle reposait sur la sécurisation des régimes en contrepartie d’un alignement sur les intérêts économiques et géopolitiques français. La chute du mur de Berlin et le vent de démocratisation ont eu raison de ce modèle, même si Paris s’accommode de certaines dérives antidémocratiques au nom de la realpolitik et de la lutte antiterroriste.
- « Au même moment, l’éclatement de la guerre en Ukraine transforme le paysage géopolitique européen, ce qui interroge nécessairement sur la posture expéditionnaire de la France et sur ses efforts pour européaniser la lutte contre le terrorisme au Sahel », expliquent le colonel Laurent Bansept et le chercheur Elie Tenembaum, dans une étude récente de l’Institut français des relations internationales (Ifri).
Les deux auteurs appellent à repenser la posture stratégique de la France en Afrique de l’Ouest. Selon eux, Paris doit tenir un langage de vérité et assumer ses intérêts de puissance, qui sont plus politiques et sécuritaires qu’économiques.
- « Ce n’est pas à la France de se prononcer sur l’opportunité de l’adoption de certaines formes d’islam politique », assurent les auteurs.
Et ce d’autant que cela ne se traduit généralement pas par une remise en cause des intérêts français. Ils recommandent aussi, au nom de la pacification, le retour dans le jeu politique d’acteurs préalablement identifiés comme extrémistes. Une ligne rouge long temps brandie par la France.
Sur le plan militaire, ils suggèrent de retrouver une unité du commandement français de la «façade atlantique », allant de la Mauritanie à la République démocratique du Congo. Un modèle mis en oeuvre par les Américains avec Africom, le commandement opérationnel de la zone Afrique dont le QG se trouve à Stuttgart.
- « Cette structure assurerait le contrôle et la cohérence de l’ensemble des actions militaires, précise l’étude. En un mot, l’action militaire française pourrait n’avoir plus qu’un seul numéro de téléphone... II serait ainsi possible d’imaginer de confier ce commandement à un officier général de division ou de corps d’armée, disposant d’un état-major ramassé. »
Discrétion. L’étude préconise enfin de revoir la stratégie de communication afin de rendre la présence française plus acceptable par leurs opinions publiques. La tâche n’est pas aisée. Elle passe aussi par un retour à une plus grande discrétion des appuis militaires.
- « La coopération doit avant tout porter sur les maillons faibles des armées africaines : commandement et contrôle, renseignement (notamment l’exploitation), logistique et ressources humaines », précise l’Ifri.
Et la priorité devra être d’éviter une contagion du terrorisme et des insurrections aux pays côtiers, là où se trouvent nos intérêts économiques.
La révision de la stratégie devrait se faire dans un contexte budgétaire qui pourrait être plus difficile que prévu. La participation à l’effort de guerre en Ukraine et le besoin de réassurance des alliés européens dans le cadre de l’Otan pourraient impacter les ressources dédiées àl’Afrique dans la prochaine loi de programmation militaire. L’Elysée, le ministère des Armées (et notamment l’état-major des armées), le Quai d’Orsay et Bercy devront se mettre d’accord sur les arbitrages. « II va falloir faire des choix ! », résume un acteur participant à la réflexion.
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