Les premiers chocs transatlantiques
L’investiture de Donald Trump pour un second mandat marque un tournant stratégique où ambitions économiques, tensions transatlantiques et domination technologique redessinent un ordre mondial incertain, laissant les Européens face à des choix décisifs.

« J’ai été sauvé par Dieu pour rendre sa grandeur à l’Amérique », déclare Donald Trump, le 20 janvier 2025, lors de son investiture au Capitole, avant d’ajouter : « À partir de cet instant, le déclin de l’Amérique est terminé. » Ce qui frappe à la lecture de ce discours, ce sont les références, notamment au président William McKinley (1843-1901) et les variations de registre qui conduisent Donald Trump à dire : « Tout est question de bon sens » avant d’annoncer : « Nous allons forer, forer, forer » pour retrouver la prospérité. Et puis, il annonce un sublime projet : « Notre puissance arrêtera toutes les guerres et apportera un nouvel esprit d’unité à un monde qui était en colère, violent et totalement imprévisible. » Rien de moins.
Depuis lors, le 47e président des États-Unis multiplie les annonces, du canal de Panama au Groenland, en passant par les tarifs douaniers contre les importations du Canada ou du Mexique. Ce faisant, la relation transatlantique change de nature sans qu’il soit encore possible d’en dessiner précisément les futurs contours commerciaux, militaires et technologiques.
Pour l’heure, les Européens restent dans l’expectative en se concentrant sur la réponse à apporter en cas de déclenchement d’une guerre commerciale. Le 2 février, l’Union européenne déclare qu’elle « ripostera avec fermeté » si elle est ciblée. Le premier défi pour les Européens sera de maintenir leur unité. La tentation pour chaque capitale existe évidemment de jouer la carte bilatérale transactionnelle sur tel ou tel dossier. Copenhague a déjà ressenti le changement de ton transatlantique à ses dépens. En se présentant comme un « bon allié » hier, aujourd’hui et demain, le Danemark, pays profondément atlantiste, cherche à limiter le courroux américain et ses prétentions sur le Groenland. Comme pays prudemment soutenu par ses partenaires européens, sa présidence de l’Union européenne au second semestre 2025 aura valeur de test.
Sur le plan militaire, les inconnues sont encore plus grandes dans la mesure où Donald Trump estime que les pays européens bénéficient d’une protection sans en supporter le coût réel, depuis plusieurs décennies. Selon lui, ils devraient consacrer 5 % de leur produit intérieur brut à leur défense et à leur sécurité (contre 2 % en moyenne actuellement), tout en soulignant que ce sont des pays riches disposant de moyens. Les administrations américaines successives ont invité leurs alliés européens au « partage du fardeau » sans réel effet, jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022. Donald Trump s’est beaucoup avancé sur l’Ukraine au cours de la campagne électorale en indiquant qu’il souhaitait parvenir à un accord de cessez-le-feu. Ce dossier demeure le plus sensible pour les Européens dans la mesure où il concerne la stabilité du continent. Pèse sur eux la menace d’un accord direct entre les États-Unis de Donald Trump et la Russie de Vladimir Poutine. Cette initiative pourrait intervenir au moment où la France et l’Allemagne, qui avaient accompagné les accords de Minsk après l’annexion de la Crimée et la déstabilisation du Donbass en 2014, sont affaiblies. Abondamment commenté et critiqué, le concept d’« autonomie stratégique européenne », souvent mis en avant par Paris, retrouve toute sa pertinence dans ce contexte, même s’il faut constater que celui de « parité stratégique » lui est préféré par un certain nombre de capitales. Les Européens doivent répondre à deux questions fondamentales. La première : sont-ils prêts à soutenir l’Ukraine en cas de désengagement américain ? La seconde : sont-ils prêts à coordonner sérieusement leurs dépenses militaires, et dans quelles proportions ? Ils n’échapperont pas à une réflexion fondamentale sur le lien entre les conditions de leur prospérité et celles de leur sécurité.
Sur le plan technologique, la domination américaine s’accentue. La nouvelle administration de Trump est soutenue par les grands acteurs de la tech, au premier rang desquels figure Elon Musk. Ce dernier ne perd jamais une occasion de fustiger la réglementation européenne, qui empêcherait le vieux continent d’innover. Le lendemain de son investiture, Trump annonce le lancement du projet Stargate (auquel Musk n’est pas associé), destiné à construire des infrastructures pour l’intelligence artificielle. Montant d’investissements annoncé par Larry Ellison (cofondateur de la firme Oracle), Masayoshi Son (fondateur de SoftBank) et Sam Altman (cofondateur d’OpenAI) : cinq cents milliards de dollars. La saturation des annonces commerciales, militaires et technologiques ne serait-elle pas une manière d’entretenir, le plus longtemps possible, la stupeur européenne ?
Chronique publiée dans le numéro 4324 (mars 2025) de la Revue Études.
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