L’Europe tributaire de la Russie pour ses approvisionnements en métaux
L’invasion de l’Ukraine par la Russie et les sanctions économiques qui en ont découlé mettent en lumière les dépendances de l’Europe à son voisin russe, notamment en matière de minerais. La Russie est en effet l’un des plus grands exportateurs de matières premières minérales dans le monde.
Si l’Europe dépend fortement de la Russie pour son approvisionnement en gaz et en pétrole, elle l’est également pour ses importations de métaux. Nickel, aluminium, palladium, titane… Des ressources de première importance pour l’industrie, notamment pour la production de batteries lithium-ion ou de panneaux solaires. Bien que l’on n’en produise pas − ou très peu − sur le sol européen, la hausse des cours des minerais aura in fine un impact sur leur essor.
« Si les prix des matières premières augmentent, les prix d’installation de ces technologies vont augmenter, ainsi que le prix final de l’énergie produite », explique Raphaël Danino-Perraud, docteur en économie des ressources et chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Mais au-delà de la transition énergétique, « de nombreuses industries vont être touchées par l’envolée des prix des minerais : l’automobile, le bâtiment, l’aéronautique, le ferroviaire, la défense, les télécoms… »
Des secteurs fortement dépendants de la Russie, grande productrice de métaux. À titre d’exemple, le pays est le deuxième fournisseur d’aluminium, derrière la Chine, en pourvoyant près de 10% de la production mondiale.
Le titane : des prix en hausse de 60%
La production russe d’éponge de titane − un dérivé du métal − de qualité aéronautique est de première importance : des entreprises françaises comme Safran et Airbus s’approvisionnent principalement chez VSMPO-Avisma, industriel russe et numéro 1 mondial du secteur. Le PDG de Safran, Olivier Andriès, assure que son groupe a des stocks jusqu’à l’automne en ayant racheté des réserves existantes, notamment en Allemagne, chez des distributeurs. Pour le long terme, il s’agira de diversifier les fournisseurs : « Dans les semaines qui viennent, nous allons accélérer les sources alternatives », a-t-il ainsi déclaré. L’américain Boeing, de son côté, a décidé de rompre avec ce partenaire de longue date en guise de sanction après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
« Boeing va rediriger une partie de ses approvisionnements vers le Japon. Mais l’archipel ne pourra se substituer à l’ensemble des approvisionnements russes », précise Raphaël Danino-Perraud.
De même, l’Afrique du Sud a déclaré vouloir augmenter sa production de platinoïdes, ce groupe de métaux dont fait partie le platinium, nécessaire pour la fabrication des pots catalyseurs (qui visent à réduire la nocivité des gaz d’échappement). Une décision bienvenue mais qui ne compensera pas complètement la production russe, qui fournit 40% du platinium mondial.
Depuis le début du conflit, la production d’éponge de titane de qualité aéronautique est passée de 8 000 dollars la tonne à 17 000 dollars. Le prix du ferrotitane, alliage de fer et de titane essentiel pour les industries de l’automobile et de sidérurgie, a augmenté de 60%. En outre, la production russe de titane vient d’Ukraine : les industriels l’extraient puis l’exportent en Russie où il est raffiné. Un transport entre les deux pays qui s’est évidemment interrompu avec le conflit :
« Avec la guerre, c’est toute la chaîne du titane qui est perturbée », indique Raphaël Danino-Perraud.
Même chose du côté de l’aluminium et du nickel. Le groupe russe Rusal est le deuxième producteur industriel d’aluminium au monde et la Russie fournit 80% des besoins français en alumine. En 2019, le pays était également le troisième producteur de nickel, derrière l’Indonésie et les Philippines, et deuxième pour le nickel raffiné, derrière la Chine. Si les métaux ne manquent pas dans l’immédiat, les risques portent sur le transport de la production russe : les réseaux de fret maritimes, routiers, aériens et ferroviaires étant d’ores et déjà sous tension, des pénuries temporaires à venir sont à craindre.
Quelles solutions ?
Alors faut-il s’approvisionner ailleurs pour sortir l’Europe de sa dépendance à la Russie ? Pas si simple.
« À court terme, il n’existe aucune solution. La Russie était déjà considérée comme un marché de diversification vis-à-vis de la Chine », souligne Raphaël Danino-Perraud.
Pour développer des stratégies de résilience, faut-il rouvrir les mines en Europe ?
« Il y aurait de quoi faire, mais on ne connaît pas notre sol : la dernière campagne française d’exploration date des années 80. Et la mine garde une très mauvaise image, note Raphaël Danino-Perraud. Pourtant, avec des mines sur notre territoire ou à travers des participations financières dans des projets miniers à l’international, on garde l’avantage de pouvoir contrôler une partie de la production. »
Si le recyclage est également un mécanisme essentiel pour limiter la consommation de minerais vierges, cela reste insuffisant. « Il faut un certain laps de temps pour que le produit en utilisation arrive en recyclage », et donc pour que les métaux puissent être récupérés et réutilisés après leur fabrication.
Les volontés de sanctions européennes sur les matières premières vis-à-vis de la Russie ?
« Difficiles à mettre en place, pour Raphaël Danino-Perraud. Il n’y a pas beaucoup de sources de diversification en dehors de Russie, particulièrement sur les matières premières minérales. Les dépendances étaient connues, mais peu a été fait pour les diminuer. Des sanctions non préparées et non maîtrisées reviendraient à fragiliser d’autant plus l’industrie européenne. Il s’agit maintenant de préparer l’après. »
Finalement, la crise du Covid et la guerre en Ukraine rappellent à l’Europe l’urgence de diversifier ses sources d’approvisionnement des matières premières. Pour enfin affirmer sa souveraineté ?
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