L’Ifri collecte ses fonds en conciliant public et privé
L’Institut français des relations internationales, fondé en 1979, diversifie ses sources de revenus. Pour garantir son indépendance. Et son influence.
Pour fêter ses quarante années d’existence, l’Institut français des relations internationales (Ifri) a reçu un beau cadeau : selon une étude de l’université de Pennsylvanie, publiée en janvier, il est le deuxième think tank le plus influent au monde. Juste derrière Brookings, institution américaine assise en 2018 sur 87 millions de dollars de revenus. A comparer aux 6,7 millions d’euros levés par l’Ifri sur la même période. Tel est le tour de force de Thierry de Montbrial, son fondateur : inscrire l’Ifri dans la durée en France, où n’existe aucune généreuse fondation à la mode anglo-saxonne : « Il nous a fallu mettre en place un financement mixte, public et privé, en prenant soin aux équilibres internes. » Avec une difficulté : ne pas laisser s’installer le doute sur l’indépendance de l’institution. Celle-ci fait en effet régulièrement l’objet d’attaques, par exemple pour sa proximité avec Rabat, puisque le PDG du puissant Office chérifien du phosphate siège au conseil d’administration de l’Ifri. Montbrial organise d’ailleurs en octobre dans la capitale marocaine sa prochaine World Policy Conference.
Côté public, la part des subventions versées par Matignon a été réduite sensiblement, pour passer de 50 % au lancement de l’institut à 19 % aujourd’hui. « C’est un bon positionnement, qui nous permet la bonne distance avec l’Etat », estime Thierry de Montbrial. S’y ajoutent des contrats avec le ministère de la Défense, gagnés sur appel d’offres. Pour le reste, la collecte est réalisée auprès d’ambassades (de l’Algérie au Vietnam en passant par la Hongrie) et surtout d’entreprises. Ces dernières jouent les mécènes, financent des programmes de recherche, versent dons et cotisations.
Pour les groupes, d’Air France à Total, partenaire historique, les tickets pour devenir membres sont à 25 000 euros par an et permettent d’accéder à des études, d’échanger avec des chercheurs et surtout de participer à des dîners avec des dirigeants internationaux, comme le président iranien Rohani. « L’Ifri nous aide à sortir du temps de l’actualité pour aller vers celui de l’analyse, explique Antoine Creux, directeur sécurité de Société générale. Le débat autour de la chercheuse Tatiana Kastouéva-Jean, au lendemain des élections russes, nous a permis de décoder les perspectives du nouveau mandat de Poutine. »
« Esprit très “Quai d’Orsay” »
L’ex-dirigeant d’une société de conseil, actif sur les dossiers internationaux, relève toutefois que « l’Ifri n’offre pas de consulting opérationnel, pour repérer par exemple les risques de corruption dans un pays. Il reste dans un esprit très “Quai d’Orsay”». Délibérément, l’institut refuse en effet d’entrer dans un rapport de client à fournisseur. Thierry de Montbrial promet qu’ainsi aucun groupe ne pèse plus de 5 % à 6 % du budget. « Je prends garde également à ce qu’aucun “parrain” ne constitue une coalition d’intérêts privés pour tenter de peser sur nos choix », explique-t-il.
La composition du conseil d’administration souligne cette volonté d’additionner les puissants réseaux économiques et politiques. Jean-Paul Agon (L’Oréal) vient d’y faire son entrée. Il y croise Jean Burelle, patron de Plastic Omnium et de l’Afep, et André Lévy-Lang (ex-Paribas). Mais aussi le nouveau préfet de Paris, Didier Lallement, et le député centriste Jean-Louis Bourlanges. « L’Ifri offre au final une recherche véritablement libre et indépendante », garantit Marie- Françoise Bechtel, ancienne directrice de l’ENA et proche de Jean-Pierre Chevènement, elle aussi membre du conseil. Le think tank espère continuer longtemps ce jeu d’équilibriste, assez proche au fond de la diplomatie qu’il étudie : Thierry de Montbrial lui fixe pour objectif de tenir encore jusqu’à commémorer son centenaire.
Copyright Grégoire Pinson / Challenges
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