À l’Ifri, les « leçons » d’un émissaire du Parti communiste chinois
En visite à Paris, le diplomate chinois Liu Jianchao a rappelé la ligne dure du PCC sur l’invasion de l’Ukraine, la guerre Hamas-Israël et la question de Taïwan.
Leur parole est rare. Les hauts cadres du Parti communiste chinois (PCC) délivrent au compte-gouttes les discours devant des auditoires étrangers, encore moins fréquemment avec une séance, même brève, de questions-réponses à la fin. Ce 10 octobre, la venue de Liu Jianchao, directeur du bureau de liaison internationale du PC, au siège parisien de l'Institut français des relations internationales (Ifri), méritait donc de s'y intéresser. Quel message l'apparatchik a-t-il transmis à ses hôtes ? Un cocktail doux-amer, invitant à « plus de dialogue », tout en rejetant la faute de toutes les crises actuelles - Ukraine, Israël-Gaza, Taïwan - sur les autres - États-Unis, Occidentaux, Taïwanais...
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Interrogé par le fondateur de l'Ifri, Thierry de Montbrial, pour savoir ce que la Chine pourrait faire pour trouver une issue à la crise, le ministre Liu a botté en touche, semblant renvoyer la responsabilité à ceux - Occidentaux ? Américains ? - qui n'auraient pas fait pression pour appliquer le droit international dans le conflit israélo-palestinien : « Des résolutions de l'Assemblée générale et du Conseil de sécurité de l'ONU, il y en a eu plein, mais aucune n'a été appliquée à la lettre exactement et de bonne volonté. On semble être impuissant face à une telle crise. [...] Nous souhaiterions réellement que la solution à deux États soit vraiment mise en application. »
L'Ukraine et son droit d'entrer dans l'Otan
L'autre dossier brûlant est évidemment l'invasion russe de l'Ukraine. Pékin a parfois été présenté, comme par le président Macron, comme un potentiel médiateur pour amener Kiev et Moscou à la table des négociations. Cependant, un plan de paix chinois tant attendu s'est révélé, à sa publication en mars 2023, n'être qu'une très timide et ambiguë « position pour un règlement politique ». Tandis qu'au printemps plusieurs incidents ont fait s'éloigner l'espoir d'une aide de Xi Jinping pour régler le conflit : sa visite en grande pompe à Moscou, la révélation de livraisons - limitées - de matériel militaire et surtout des remarques de l'ambassadeur de Chine en France, Lu Shaye, remettant en question la souveraineté de l'Ukraine. Interviewé sur LCI, Lu Shaye avait affirmé que les pays de l'ex-URSS « n'ont pas le statut de pays souverain dans le droit international parce qu'il n'y a pas d'accord international pour concrétiser leur statut », semblant nier le droit de l'Ukraine à défendre la totalité du territoire, Crimée et Donbass inclus.
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Sur l'Ukraine, Liu Jianchao a martelé - à trois reprises - le même credo : « J'inviterai nos amis européens au Parlement à repenser aux raisons pour lesquelles cette crise a eu lieu dans une région qui était supposée être en paix et sûre. » Et de pointer vers le « sentiment très fort de la Russie d'être menacée par l'Otan ». « Il faut se mettre dans les chaussures de tout le monde », résume-t-il pour expliciter la proposition d'une « sécurité globale » avancée par la Chine - autrement dit l'idée que l'Ukraine devrait renoncer à son droit d'entrer dans l'Otan pour protéger les intérêts de son voisin. « Je n'ai vu aucun effort efficace et constructif avant cette crise pour empêcher le conflit de se produire », a conclu Liu. Obligeant l'assistance à le contredire : Pierre Morel, ancien ambassadeur français en Chine, a rappelé à juste titre les négociations très régulières menées à la suite des accords de Minsk de 2015, et jusqu'à la veille de l'invasion en 2022.
« Taïwan est une partie de la Chine »
Dernier dossier explosif, Taïwan. Interrogé par le responsable des activités Chine au centre Asie de l'Ifri, le chercheur Marc Julienne, le ministre Liu aura rappelé la ligne de Pékin. « Taïwan est une partie de la Chine », « la Chine ne permettra jamais » à Taïwan d'être un État indépendant, les autorités taïwanaises doivent « cesser de se rapprocher de l'indépendance, et même de l'indépendance de facto », les tensions « ne viennent pas des opérations militaires de l'Armée populaire de libération » - qui multiplie en réalité manoeuvres et incursions autour de l'île à des niveaux sans cesse croissants... Rejetant la faute, au contraire, sur des « forces externes », sans désigner nommément les États-Unis, que le régime chinois accuse régulièrement de provoquer ses actions en flirtant avec la ligne rouge aux côtés des Taïwanais, que ce soit quand des élus américains visitent l'île ou quand la marine américaine traverse le détroit de Taïwan pour y affirmer sa liberté de circulation garantie par le droit de la mer.
« Ces forces externes ne devraient jamais avoir l'illusion que la Chine abandonnera un jour notre aspiration à accomplir la réunification nationale, a conclu le haut diplomate chinois. Elles devraient essayer, si elles veulent vraiment faire le bien pour la paix régionale et la stabilité, de dissuader et de décourager toute tentative vers une prétendue indépendance. Celui qui doit être tenu pour responsable des tensions n'est pas la Chine. »
Pour Marc Julienne, qui avait posé la question pour savoir comment la Chine répond aux inquiétudes pour la sécurité du détroit de Taïwan, artère vitale du commerce mondial, de tels propos, « parfois martiaux », offrent « peu de réassurances ».
« L'activité militaire intense est avant tout chinoise, s'inquiète-t-il. L'Armée populaire de libération opère tous les jours autour de l'île et en mer de Chine du Sud. Cela accroît les tensions et surtout le risque d'incident grave. Il y a une contradiction dans ce message entre la promesse que la Chine recherche la paix et le déploiement de moyens militaires. Ce n'est pas de nature à rassurer les entreprises. »
À bon entendeur.
>> Retrouver l'article en intégralité sur le site Le Point .
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